Mon analyse avec Jung est un recueil de notes (une sorte de journal intime de 1950 à 1961), agrémenté de dessins et courts poèmes et publié à titre posthume aux éditions La Fontaine de Pierre. Sabi Tauber, l'auteure, a rencontré, à l'âge de 33 ans, le professeur clinique lors d'une de ses conférences et sentit instinctivement qu'elle "le connaissait depuis toujours et qu'une profonde parenté la liait à lui"*. Le livre relate des douze années de rencontres avec le docteur suisse qui finit par devenir un ami très respecté du couple Tauber et de leurs cinq enfants.
La valeur de cet ouvrage est triple :
Il relate des dernières années du vieux sage zurichois ; il fait parler Jung et son langage diffère beaucoup de ses écrits ; enfin c'est un témoignage sur l'irrésistible aura qui l'entourait et l'adoration ou la vénération qu'il suscitait chez certaines femmes ou enfants.
Sabi n'est pas avare de compliments à son égard tout au long de l'ouvrage et le remercie, quelques temps avant son trépas, au nom de toutes les femmes, de l'avoir aidé "à accéder aux trésors de l'inconscient...,à redonner sa place à l'image féminine de Dieu...,à retrouver sa propre nature féminine avec sa propre conception du sentiment et à vivre la vie consciemment dans l’ ici et maintenant". (p.184)
On découvre un homme de proximité presque omniscient sur tous les sujets, en particulier dans l'interprétation des rêves, le symbolisme ou les sciences irrationnelles (Yi King, astrologie, géomancie, tarot, synchronicités...). Le livre est aussi entrecoupé d'anecdotes sur ses voyages, ses écrits ou son vécu d'être humain.
Sabi n'hésite pas à le qualifier de "gourou" au sens de Maître spirituel car en plus d'être à l'écoute il donnait de véritables directions ou inclinaisons pour le travail intérieur en vue de la conscientisation.
Dans ses discussions comme dans ses entretiens publics, les thèmes suivent le cours de sa pensée, flirtant parfois avec l'irrationnel ("J'ai découvert l'irrationnel et j'ai défendu le droit à la parole de l'inconscient") et il répond avec un certaine autorité à tous les sujets, graves ou anodins, profonds comme plus légers. "Nous étions tous fascinés par ses paroles...par le flux magique de sa pensée...". Ce qui peut paraître comme indigeste parfois mérite néanmoins une lecture plus approfondie pour en retirer toute la richesse.
Pourtant Jung se défend de toutes projections à son égard, "ne voulant être ni un mythe ni un dieu mais un véritable être humain", déclarant avoir "simplement vécu ses potentialités et fait ce qu'il tenait pour juste".
C'est son intériorité qui le poussa à écrire toute sa vie , ne réalisant des ouvrages extérieurs que dans sa maison de Bollingen où il passait du bon temps tel un ermite à l'écoute des signes de la nature et du temps.
"générosité...merveilleuse bonté...attention...présence totale" reviennent souvent dans la bouche de la jeune protégée de Jung qui savait se rendre disponible pour les siens ("nous sommes tous reliés de manière sous-jacente. Celui qui sait plonger ressent les autres loin à la ronde") malgré un emploi du temps chargé jusqu'à la toute fin.
Court mais dense, ce livre se bonifie et s'éclaircit à chaque lecture et l'on retient surtout que l'homme avait une forte personnalité (puissante anima) et un magnétisme presque magique pour insuffler la vie ou remettre en mouvement le matériau psychique stagnant. Un brillant esprit s'incarna sur cette terre, pour affaire de complétude et de transformation et qui montra la voie vers notre propre dieu intérieur...
*les citations en gras sont de Jung, les autres en italique de Sabi Tauber