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2018

  • Muriel Robin, la Kid de Saint Etienne

    Muriel Robin, Fragile, XO éditions, Saint Etienne, Annie Girardot, Line Renaud, Michel Bouquet, Pierre Palmade, Michèle Laroque, Johnny HallydayPleurer de rire, c’est la formule qui vient en pensant à Muriel Robin. Elle nous fait pleurer de rire, pas seulement à gorge déployée mais avec les larmes qui coulent littéralement. Et pour cause, derrière cette drôlerie, se cache souvent un abîme de tristesse. En cachant la sienne, elle panse la nôtre. Il suffit parfois, les jours de blues, de revoir un spectacle de Muriel Robin et on se laisse emporter par une vague de bonheur.  En lisant son livre Fragile, on est traversé, comme elle, par toutes les émotions. Chaque fois que le destin semble s’assombrir, la comédienne ravive la flamme de l’humour et le lecteur ne peut s’empêcher de sourire. Exactement de la même manière que quand Muriel était enfant, provoquer le rire pour ne pas céder un pouce au malheur qui voudrait nous envelopper.  

    Coincée à Saint Étienne entre ses parents et leur magasin de chaussures, Muriel Robin rêve d’être l’amie d’Annie Girardot puis que Line Renaud devienne sa deuxième mère. Pendant longtemps la comédienne, reçue première au conservatoire de Paris, s’imagine être passée à côté de son destin de musicienne (aucun adulte n’a encouragé sa vocation) puis d’actrice de cinéma. Pourtant quand on lit le livre, il nous semble au contraire évident qu’elle a accompli son destin. Les vraies rencontres avec Annie Girardot et Line Renaud en sont des exemples frappants. Quant à l’humour, qu’elle maitrise parfaitement dès cinq ans, son professeur Michel Bouquet (au conservatoire) évoquera Charlie Chaplin. La comédienne n’en comprend pas la portée à l’époque mais cela prend tout son sens aujourd’hui. Muriel Robin est à sa place et n’a pas à en rougir et encore moins à s’excuser.

    Difficile de s’accepter, de s’assumer quand le public vous applaudit, que les plus grands artistes vous félicitent et que votre mère reste froide, indifférente à tous vos succès. Pour comprendre et pardonner Muriel Robin remonte le fil de sa vie et celle de sa maman. Cette quête des origines est essentielle à la comédienne pour apaiser ses peines, ses doutes et s’autoriser à être heureuse. Cet ouvrage plaira forcément au public déjà conquis mais aussi à tous ceux qui se résignent à la fatalité ou qui vivent des situations qui leur semblent insurmontables. Derrière les larmes se cachent toujours le rire. Bien frais, bien agréable !

     

    Crédit Photo: http://www.xoeditions.com

  • Alpha Wann disciple du Verbe

    J'apporte la lumière dans le noir...

    umla.jpgD'aucuns prétendent qu'il a sorti l’album rap de l’année (2018) mais le premier long format d'Alpha Wann (membre de 1995 et de l'Entourage et auteur de 3 Ep "Alph Lauren") est un futur classique donc intemporel.

    Si un MC est la voix des sans voix, un haut parleur du peuple, il est aussi et surtout le catalyseur d'une certaine époque avec son langage, sa culture, ses humeurs et ses préoccupations. Les 17 chroniques de Philly flinguo auraient pu être écrites il y a 20 ans dans un autre pays, elles auraient résonné identiques sur le fond. La forme quant à elle est fruit de son ère, sublimée par 4 producteurs de talent (Hologram Lo, VM the don, Jay Jay &Lama onthebeat, Diabi) et masterisée par Alex Gopher (déjà là pour les albums de Nekfeu). Le bonhomme, quoi qu'il en pense est généreux (59 minutes de son), partageur (5 feat, 5 producteurs et 2 crews) et capable de remords, ce qui est un bon début dans la vie...

    ...Dis à la France que tout se paye, ce pays est en stagnation

    Ici, c'est racisme et vente d'armes, des clodos à chaque station

    Tu l'appelles Mère Patrie, j'l'appelle Dame Nation...

    Album dense donc, très écrit (quelques respirations dans les textes auraient cependant été les bienvenues), techniquement et tactiquement irréprochables, on reste stupéfait par le flow du Don à la fois rapide et précis. Son épée est acérée à souhait et nécessite un lâcher prise mental pour en saisir l'essence et le tempo. C'est un art de vivre et une façon d’être (hip hop ?) et rares sont les rappeurs qui freestylent en improvisant complétement sur le moment. C'est un peu la marque de fabrique du jeune parisien et son style s'en approche tant on a l’impression dans cet opus qu'il rappe comme il parle en passant parfois du coq à l'âne.

    C'est aussi une belle oeuvre toute en paradoxes : ego à la fois fort et fragile, croyant mais peu exemplaire, talentueux mais sévère envers lui parfois, peu ambitieux mais perfectionniste, imparfait mais excellant dans son art.

    Le titre « Une main lave l’autre » est un rappel de la religion de Phal et évoque le difficile équilibre à trouver dans un monde où les lumières artificielles font du pied et décentrent de l'effort intérieur.

     

    Très bon album de hip hop donc, français de surcroit, enterrant la hache de guerre entre old school et new school ( du boum bap à la trap pour les prods), dans la veine d’un « Si Dieu veut » de la FF ou de feu Lunatic. Inspiré et craché dans un seul expire, il eut été parfait allégé de 2-3 titres. Souhaitons à Alpha de trouver la paix de l’âme comme Ali  ou encore Kery James, qui démontrent que l' on peut cracher du feu sans jouer avec.

    ...1 pour les Clio, 2 pour les Renault, renoi
    J'suis un griot, flamme olympique comme aux JO...

     

  • Le Bossu est en lien avec le féminin divin

     

    Le Bossu dans les contes, les mythes et la littérature,La Fontaine de Pierre,Jung,Marie Louise Von Franz,Inconscient collectif,nain,bouffon,Bès,Mythes précolombiens,légende arthurienne,Notre Dame de Paris,Commedia Del Arte,2018"Le Bossu", paru à la Fontaine de Pierre, est le fruit d'un travail personnel sur des dizaines d'années, de Monica Malamoud. Cette dernière fut une adepte de la psychologie des profondeurs telle que pratiquée et développée par Jung et ses disciples. L'auteure, elle même analysée par Barbara Hannah, aida notamment à la publication des œuvres de son amie Marie-Louise Von Franz.

    Non destinée à être publiée à l'origine, cette étude posthume comporte six parties distinctes, chacune étant une amplification de la figure et du thème du Bossu (par extension du nain et du bouffon), dans des comptines, en Égypte antique, dans les cultures précolombiennes, dans la littérature médiévale française, dans Notre Dame de Paris de V. Hugo et dans la commedia Del Arte.

    Long et profond voyage donc, dès lors qu'il s'agit d'analyse psychologique, à travers la musique, le théâtre, l'histoire et la culture littéraire, domaines choyés par Madame Malamoud on imagine.

     

    Historiquement parlant, le bossu-nain n'a pas toujours été connoté de façon péjorative ou négative. On le retrouve en effet sous la forme du Dieu protecteur Bès en Égypte, proche du frère jumeau de Quetzalcoatl, Xolotl au Mexique (donc lié au Cosmos) et récemment, même si le cinéma n'est pas abordé dans cet opus, à l'honneur dans des films comme "willow" ou encore "Bilbo le Hobbit". Protecteur, bien-aimé des enfants, en lien avec la nature et les animaux magiques, proche de l'Amour...Ces aspects représentent la face lumineuse voire numineuse du symbole.

    Il cristallise par contre également, à travers les siècles chrétiens, l'ombre et les projections maléfiques des fidèles, soit le mal incarné, comme pour les figures de Judas, de Belzébuth ou encore des sorcières. Il peut apparaitre laid, méchant, difforme ou rustre dans les romans anciens de chevalerie par exemple et leurs actes parlent effectivement contre eux. Face sombre donc.

    Au-delà cependant de la dualité du personnage, ce que démontre bien l'auteure avec l'analyse de Quasimodo, c'est qu'il est un paradoxe vivant, un archétype représentant l'esprit religieux naturel, proche du sentiment féminin et tend, en ce sens, à l'universalité (dans le monde matriarcal originel, pendant du monde patriarcal spirituel).

    Pour les familiers de Jung ou non, contes, mythes et littérature sont conviés pour l'amplification du thème et de nombreux parallèles sont tracés avec la figure du Christ (le poids terrestre de la croix, du chemin de vie) mais jamais le joug de ce dernier n'est évoqué, lui qui fut également méprisé en tant que témoin de l'Amour.

    En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger. » (Matthieu 11,28-30).

    Il y avait là pourtant un lien intéressant à creuser avec le symbole de la bosse (comme avec ces gens qui finissent par se courber sous le poids de leur vécu) et le fameux Messie souffrant d'Isaïe ployant sous le poids des souffrances de l'Humanité, un Messie profondément féminin là-aussi.

     

    La voie de la psychologie des profondeurs milite pour une réunification des contraires et donc une nécessaire intégration de l'ombre pour retrouver l'unité psychique (le hiérogamos ou noces alchimiques), celle de l'Enfant. Elle va donc à l'encontre de la tradition religieuse pour qui le mal est extérieur à soi mais qui prive le croyant de la connaissance de l'aspect ombrageux et terrifiant du Créateur, présent dans la totalité psychique et dont le Bossu est un symbole.

    Une belle entrée en matière donc du concept d'inconscient collectif propre à Jung avec cette étude dans la lignée des travaux de Marie-louise Von Franz sur les contes de fées.

     

  • Francesco et le Hang, une histoire d'Harmonie

     

    Francesco Agnello,Hang II,Aircac,Chapelle de l'oratoire,equinoxe de chateauroux,trident de Cherbourg,Forum 104 Paris,2018Je suis un homme, associé à la chapelle de l'Oratoire à Avignon depuis de nombreuses années pour le festival et partenaire de "chrétiens en Avignon". J'ai une formation de percussionniste, je suis pédagogue auprès d'enfants et également metteur en scène (entre autres Pierre et Mohamed, Charles de Foucauld, le prophète, les Fioretti...). Je joue du Hang (qui signifie main en bernois), un instrument complet, récent (mis au point en 2000 et fruit de 25 ans de recherches par ses créateurs suisses Félix et Sabine), aux vibrations infinies, que j'intègre dans chacune de mes mises en scène...Je suis, je suis ? Francesco Agnello bien évidemment !

    Son actualité est cette fois musicale puisqu'il vient de sortir Hang II, fruit de ses rencontres et improvisations depuis quelques années. Chacune des 12 musiques de l'album est une invitation à l'exploration intérieure, chaque écoute est une ouverture à un champ de possible en terme de voyage émotionnel, sensitif ou imagi-natif. Pas de titres "pour ne pas orienter l'auditeur et rester large (*)", un concept à l'image de Francesco, l'être.

    La musique est ici "intuitive, fruit d'improvisations et de collages, proche parfois de la musique en boucle dite contemporaine" (des auteurs comme Glass ou Reich que ne renie pas l'auteur) mais assurément d'inspiration féminine. A part deux titres plus rapides et rythmés (N°16 et 17), le percussionniste de formation livre ici une prestation plus sensible, douce et d'avantage à l'écoute de soi que dans la performance ou la maîtrise technique. Il aime à dire que "la présence féminine est un déclencheur de création".

    Avec ce disque et cet instrument "tout est neuf, sans point de comparaison et sans loi précise, tout est affaire de travail et de découverte personnelle". Mis au point au début de notre siècle, le Hang est capable de sentiments et se prête aisément à l'inspiration du moment, en se mariant avec d'autres cordes, percussions ou instruments à vent. Généreux et ouvert à l'autre, Francesco Agnello a fait découvrir gratuitement à des centaines de personnes déjà, sur Avignon et ailleurs (Il est aussi le premier artiste à jouer dans des théâtres nationaux à l'Equinoxe de Chateauroux ou au Trident de Cherbourg) ce curieux objet, accompagné ici ou là par une trompette, un trombone, un saxophone, des danseurs, des comédiens ou encore une cornemuse...

    Il jouera en Novembre et Décembre prochain à Paris 6ème, au forum 104 rue de Vaugirard.

    Pour se procurer l'album, il suffit de laisser un message sur son site.

    Extrait de la piste 16 de l'album Hang II :
    podcast

    *Cette note est le fuit d'un entretien téléphonique avec l'auteur.

  • A l'heure d'Israël : Un trésor du Judaïsme exhumé

    André Chouraqui,Léon Askénazi,Denis Charbit,A l'heure d'Israël,Editions Albin Michel,prophétie,messianisme,messie,Kabbale,Identité de Jésus,Etat d'Israël,sionisme,Amida,fils de l'Homme,Pierre d'Israël,2018

     

    Trente ans après l'événement, Albin Michel exhume avec les héritiers Chouraqui et l'historien des idées Denis Charbit, le riche échange qu'eurent à Jérusalem Léon Askénazi et André Chouraqui sur Israël.

    Qu'attendre d'autre entre un Maître talmudique surnommé "Manitou" et le traducteur des trois principaux textes sacrés et pourfendeur du dialogues interreligieux des trois monothéismes abrahamiques ?

    Le mimétisme de parcours fait de ce dialogue un duo à la cause du sionisme et de la renaissance spirituelle de l’État d'Israël. Les sujets abordés à l'époque restent au cœur des problématiques mondiales actuelles puisqu'éternels dans le cœur des croyants : prophétie(s), messianisme, dialogue interreligieux, identité de Jésus, Kabbale et lectures hébraïques parsèment ce livre qui se veut aussi explicatif et historico-politique sur le projet sioniste.

    La magie de la relation opère et atteint des hauteurs de vues rarement égalées à notre époque moderne.

    Reste à mesurer la distance prise actuellement par le projet politique sioniste et son ambition spirituelle originelle. L'antique prophétie se réalise en effet pour les exilés juifs de 102 pays : "La langue, la culture et la nation hébraïque ressuscitent" en l’État d'Israël...mais en faisant de la nation juive le seul peuple élu, "capable de réaliser cette unité de l'homme en chacun et pour tous et que les prophètes ont nommé le fils de l'Homme", le sionisme ne se détache t'il pas du projet universel divin d'appeler "Pierre d'Israël" ceux qui, symboliquement, entreprennent ce retour vers Dieu, toute confession (ou hors confession) confondue, le chemin des cœurs unis ?

    Un document exceptionnel introduit et annoté par Denis Charbit, spécialiste du sionisme et professeur en sciences politiques.

     

  • Arcade Fire, biographie passionnante et passionnée

    arcade fire.jpgLe public d'Arcade Fire est à leur image, généreux.

    Matthieu Davette est l'un d'eux, depuis 2005. Il vient de sortir une biographie fantastique mais non encore officielle du groupe.

    Lui-même musicien à ses heures, il nous fait rentrer dans le processus créatif du groupe, dans lequel nous replongeons à chaque album, car Arcade Fire sait se réinventer et créer à chaque sortie, un projet conceptuel fort.

    Par ailleurs, il est au fait de l'actualité officielle ou officieuse et relate chaque anecdote connue ou moins sur le groupe. Il a su contourner les barrières inhérentes à ce type de travail en investiguant brillamment chaque source potentielle pour reformer un puzzle cohérent, tentant de ressembler au modèle.

    En lisant son travail millimétré on comprend pourquoi l'on aime ce groupe parti de Montréal, pourquoi les albums sont si riches, pourquoi le succès est présent et pourquoi Arcade Fire est un des plus grands groupes de musique actuels. matthieu Davette.jpg

    Entretien avec le premier biographe français du groupe, Matthieu Davette, ICI.

  • Hubert Artus nous remémore Dantec, le personnage

    Couv_MauriceGDantec_HD.jpgLe cas Dantec, Maurice Georges de son prénom est épineux.

    Depuis sa mort, survenue à l'âge de 56 ans en 2016, un vide s'est créé et seul un site "mauricegdantec.net", sorte de revue de presse assez complète des interventions de l'auteur, a vu le jour. Blackout total jusqu'à ce jour sur des œuvres posthumes et silence radio sur l'homme, ce qu'il fût, comment il vécut.

    Hubert Artus, n'en déplaise à certains, est le premier biographe officiel de l'écrivain nord américain de langue française. "Prodiges et outrances", paru aux éditions Séguier résume assez bien, par son titre, la trajectoire d'un écrivain fascinant, sorte d'étoile filante, source d'influence pour beaucoup, déflagration littéraire par son style, sa vision, ses mondes, producteur de Verbe et qui aura su toucher un public pas forcément littéraire ou de même culture musicale.

    Mais l'auteur punk rock qu'il fut (Il meurt en même temps que ses acolytes de l'époque musicale Artefact, sauf Vennettilli alias Riton, comme si ce collectif avait eu un destin commun), converti au catholicisme sur les terres américaines, fut aussi décrié et rejeté en France, pour avoir eu quelques accointances avec le bloc identitaire, vu en l'Islam un danger pour l'Occident et s'être rapproché d'une nébuleuse que l'on pourrait qualifier de fachosphère puis complosphère (équivalent de l'alt-right américaine). "Il est passé de la contre-culture à la contre-révolution", nous dit le biographe*.

    Il finira malade, presque abandonnée de tous (journalistes comme publics de ses premiers romans) et incompris, tant ses derniers romans tranchaient par leur style "touffu, confus, abstrait et moins tout public qu'avant".

     

    H. Artus est resté fidèle à l'écrivain jusqu'au bout, en tant que lecteur et interviewer. "J'étais un des quelques rares journalistes qui avaient suivi son œuvre depuis le début, l'ayant critiqué, chroniqué puis interviewé...Je connaissais bien le contexte et certaines de ses sources, je connaissais bien le bonhomme même si je n'étais pas d'accord avec l'évolution de ses idées...Je l'avais connu sur plusieurs époques, étais au courant de ses changements...

    Selon lui, trois périodes phares correspondant à trois types de lectorat se dessinent clairement :

     

    *De la Sirène rouge à Babylon Babies, période Gallimard avec son ami éditeur Raynal à la barre et Goldman à la relecture (ce trio de choc sera également celui des "résidents", son dernier roman). Les ventes décollent, il devient un auteur culte et dans le vent. Nouveau souffle dans le polar, quitte à casser parfois ses codes. "On avait un style plus moderne que ce qui se faisait dans le polar français de l'époque, quelque chose de plus rock, syncopé. Il vient du groupe Artefact, il publiait aussi des paroles pour No one is innocent à l'époque de Gallimard, puis plus tard avec Pinhas. Flow rock donc avec des phrases très courtes, incarnées, denses. On a quelque chose qui colle parfaitement avec des road movies, notamment La sirène rouge. Cela reste vrai jusqu'à Villa Vortex". La bascule, et sans doute la fin d'une époque aussi, intervient quand sa femme se fait agresser par un ami commun musulman en banlieue parisienne et ils décident de quitter la France.

     

    *Du Théâtre des opérations à Cosmos inc, avec le passage chez Albin Michel pendant l'exil au Canada : "Tout à coup il se révèle analyste et non plus raconteurs d'histoires. Cela a participé aussi à un gonflement de son phrasé. C'était peut-être trop tôt et Gallimard a publié ces journaux à contre cœur pour ne pas qu'il aille voir ailleurs (Raynal, l’éditorialiste des débuts avait déjà quitté le navire). Ce n'est plus une phrase lyrique, pour la fiction. Il se met à dire "moi, je pense que"...et on a quelque chose de plus verbeux, abstrait, codifié. Il a tout à coup recraché tout ce qu'il avait appris comme autodidacte et sans bagages solides, philosophiquement ou géopolitiquement parlant, on pouvait difficilement le suivre"...

    Début 2000, Maurice G. Dantec choisit donc l'exil canadien. Le livre charnière et pivot de cette époque sera Villa Vortex et en amont, la publication des deux premiers tomes du Théâtre des opérations (TDO) chez Gallimard. Pour H. Artus, ce qui illuminait ses premiers romans c'était "deviens ce que tu es" et l'accomplissement se trouve pour lui dans Villa Vortex où les thématiques chères (transmission, survie, mort, éternité), s'insèrent dans un nouvel univers où tout devient sacré et religieux.

    À ce moment clé de la vie de l'auteur, "Il côtoie une autre civilisation, de race blanche, religieuse, chrétienne, suprématiste presque. L’idée de Dieu apparait à ce moment là, là ou avant il y avait de la transcendance et du sacré. Les chrétiens qu'il rencontre sont plutôt évangélistes et intégristes, ce sont d'ailleurs ces gens là qui le baptiseront. Il passe du coté obscur et dans tous ses autres romans, le Dieu chrétien sera supérieur à celui des autres religions dont l'Islam. La religion catholique est alors la seule valable et l'Islam n'est qu'une idéologie. Dieu devient le meilleur vecteur de pensée possible et surtout les écrivains chrétiens comme certains philosophes, pour qui il avait une fascination avant même de les avoir bien ou suffisamment lu".

     

    *Du troisième tome du Théâtre des opérations (American Black Box) aux Résidents, avec son passage par Ring puis les éditions Inculte. En pleine inflation égotique et loin de sa terre natale et de son éditeur de l'époque, il accepte moins les critiques, change de maison d'édition et d'agent (période David Kersan) pour être présenté comme une véritable rock star contre-révolutionnaire, un statut convoité de longue date par l'auteur qui avait pour vocation d'être le plus grand auteur de ce siècle. "Il était possédé, devenant réactionnaire, irascible, colérique, imbu de lui-même et n'acceptait plus les critiques, considérant qu'il était arrivé à maturité".

    Ce qu'on sait moins c'est qu'il prenait alors un traitement médical pour problème psychique mais en inversant les posologies du soir et du matin, tout en fumant allégrement mais légalement du cannabis canadien : il était stone la journée et productif et éveillé le soir...

    Sur la fin, il eut à subir trois opérations lourdes de chirurgie (suite à un problème à l'estomac) puis perdit l'usage d'un œil et marchait difficilement, jusqu'à ce qu'il parte, presque apaisé, d'un corps meurtri.

     

    dantec 2.jpg

    Sur le fond, les romans de Dantec sont très sombres, très noirs, encore plus pour les derniers, presque diaboliques. Sa conversion au catholicisme n'a pas vraiment illuminé ses mondes même si la lumière éclot du chaos. Côté productif par contre sept romans jusqu'aux résidents verront le jour, dont Grande Jonction, Artefact ou encore Metacortex. Il aura exploré les ténèbres jusqu'à la lie.

    Etait-il en mission, "témoin" du Verbe et de son irruption au bout du langage ou dans une imposture : "moi" sauf, c'est à dire dans la performance et donc l'ego...Troisième alternative : obéissant à une mission de transcription, dans la posture de quelqu'un dont le temps est compté ?

    Toujours est-il qu'il donnait avec générosité à lire une écriture qui, quoi qu'on en dise, était une véritable nourriture intellectuelle et spirituelle, un Verbe incandescent.

    Un essai de théologie pure aurait peut-être pu le ramener à de plus basses résolutions, tant ses fulgurances ou aphorismes christiques détonnaient, dans les deux premiers volumes du TDO.

    Il se disait au service de ses lecteurs, parfois jusqu'à la démesure et l'excès (il écrira jusqu'au bout, même très diminué). Il aura été une sorte de messager apocalyptique, en guerre contre tous et pressé de délivrer un message somme toute christique : la lumière gît au sein des ténèbres...mais les ténèbres n'en ont pas voulu (il est mort en vendant 10 fois moins qu'à ses débuts)...c'est une interprétation mais l'avenir dira qui il fût vraiment.

    Coté sorties, trois courtes nouvelles seraient potentiellement à attendre et éventuellement un autre travail autobiographique. C'est désormais du coté du site officiel "mauricegdantec.net" qu'il faudra lorgner.

    *Cette note est le fruit d'un entretien téléphonique avec Hubert Artus

    crédit photo : le Figaro