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Judaisme - Page 5

  • L'âme animale

     

    Le vrai sentiment est immobile,

    IL AIME TOUT ET RAYONNE.

    Entretien 10 des Dialogues avec l'Ange

     

    Les récits extraordinaires évoquent un climat de bonté, de joie, de paix, d'amour offert à tous, hommes et bêtes, et se situent dans un lieu où tout est possible : la chambre intérieure éclairée par l'Esprit. A ceux qui les écoutent ils donnent de raviver leur foi, de recouvrer leur innocence et de rappeler la puissance miséricordieuse de Dieu”. (p.77)

     

    Jacqueline Kelen,Les compagnons de sainteté - Amis de Dieu et des animaux,Editions du Cerf,G.I GUrdjieff,Récits de Bellzébuth à son petit fils,Charbonneau-Lassay,le Bestiaire du Christ,Octobre 2020Tout juste auréolée du prix de la liberté intérieure pour "Histoire de celui qui dépensa tout et qui ne perdit rien", la prolixe Jacqueline Kelen revient chez Cerf Editions avec  " Les compagnons de sainteté - Amis de Dieu et des animaux".
    Il s'agit d'un livre thématique qui recense les occurrences et édifications animalières au sein des religions monothéistes (Bible, Coran, récits de saints de toute confession) et des philosophies ou doctrines orientales (anecdotes de sages). Chaque historiette est classée, contextualisée et analysée et l'on s'instruit autant que l'on découvre une sagesse universelle dont l'animal est la clé.
    C'est un ouvrage plaisant, assez exhaustif et riche sur le sujet des relations de communion entre hommes sages/saints et animaux sauvages ou domestiqués. Comme d'habitude avec Madame Kelen, nous sommes pris dans un voyage spirituel avec quelques sermons de bon ton.
    En filigrane se dessine la sensibilité et amour de l'autrice pour ces deux protagonistes de l'Histoire spirituelle (sans oublier végétaux et minéraux), qu'aurait apprécié G.I Gurdjieff qui mettait en scène un Belzébuth compassionnel avec la gente animale à travers l'histoire de l'humanité.
    Et Jacqueline Kelen de rappeler le caractère sacré et non déchu ( de l'état édénique) de tous les animaux aidés ou aidants, sauvés ou sauvants, sur le chemin des hommes de vertus.
    Parfois plus proches des mystiques que des hommes, ces compagnons de route sont ici magnifiés et mis à l'honneur pour leurs qualités étriques ou leur amour désintéressé, suscitant parfois vocations ou illuminations auprès de cœurs aimants ou épris de Dieu.

    L'autrice insiste sur ce cœur, “ lieu où se manifeste l'Esprit, lieu de la connaissance supérieure...qui octroie la communion”, par rapport au savoir, intellectuel par définition, qui “crée souvent séparation et division”. La compagnie des animaux ou des plantes permet parfois cette décentration de la tête au cœur et la fortification de cet organe subtil, presque invisible à l’œil nu, mais d'une puissance à faire trembler les montagnes ou à discerner l'essence des êtres dans l'instant, organe visionnaire coutumier chez les chamanes, sages et saints de tous bords, mais aussi des éternels enfants.

    Même si l'histoire publique du Christ est assez pauvre en “compagnons de sainteté” (l'âne, le bœuf, le coq...), Louis Charbonneau de Lassay consacra une partie de sa vie au Bestiaire du Christ, nous rappelant par la symbolique, le lien sacré et indéfectible entre toutes les parcelles de la Création.

     

    Les liens tissés sur un plan profond entre un homme et un animal s'avèrent impérissables. Leurs âmes se retrouveront toujours. Ceux qui sur terre sont aimés sur le plan supérieur de l'Esprit se retrouveront dans l'Esprit (l'Un, l'Absolu, le Soi...). Ce n'est pas là un vœu légitime mais une limpide évidence”. (p.194)

     

  • Le Baal Shem Tov historique

    Je questionnai le Messie : « Quand le Maître viendra t-Il ? », et Il me répondit : « Quand ton enseignement (ta Thora) aura été révélé et diffusé dans le monde entier, et que tes fontaines jailliront à l'extérieur. »p.133

     

    Baal Shem Tov,Jean Baumgarten,Hassidisme,Albin Michel,Février 2020Le Baal Shem Tov, mystique, magicien et guérisseur, paru aux éditions Albin Michel, est un livre hommage, extrêmement bien documenté sur la figure historique à l'origine du mouvement hassidique, par la plume esthète et érudite de Jean Baumgarten (Directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Hassidisme).

    Le simple nom propre reste très populaire et ancré dans l'imaginaire collectif, sans parfois savoir ce qu'il recouvre. Pour le peuple juif il est un de leur héros en tant que grand ami de Dieu et également un héraut du messie promis par la prophétie, suite à ses ascensions célestes* (comme Enoch, Élie ou plus proche Mahomet), en présence du Messie ou d'autres figures célèbres des maîtres ou prophètes juifs (*ce qu'on nomme la théurgie).

    Les Shivhei ha besht, sorte de recueil hagiographiques sur le Baal Shem Tov (1700-1760), commencent à être publiées un peu moins d'un siècle après sa mort en font un personnage mythique et fabuleux, mystique et biblique à souhait (c'est la dernière partie du livre) mais les sources historiques juives traditionnelles de l'époque le décrivent comme un personnage singulier et haut en couleurs , spirituellement parlant. Le gros de l'ouvrage retrace donc, avant les légendes, son parcours personnel, social et religieux de manière chronologique.

    Il reçu une solide formation jeune homme auprès du Rabbi Adam Baal Shem qui lui transmit ses savoirs et secrets mystiques et il parfait ses connaissances médicinales héritées de sagesse tsiganes, chrétienne orthodoxe et de kabbale pratique, lui conférant un statut hybride entre piété et magie, saint homme et sorcier.

    Il s'inscrit, dans un premier temps, dans une tradition de folle sagesse comme le furent le Mullah Nasruddin, le prophète Élie, le juif Mordekhay ou encore le druide Merlin, n'hésitant pas, lors de son second mariage, à s'isoler sept années au milieu de la forêt pour mieux consolider son intériorité (par la prière, l’étude et la méditation) et développer sa sphère imaginale (voyages dans les inframondes, dialogues avec une ascendance liée à l'étude ésotérique de la Torah).

    A 36 ans son aura le dévoile au monde avec "grâce, autorité et même divinité" : Il se sent investi d'une mission de « préparation de ses adeptes à la libération individuelle et à la rédemption messianique", par la transmission de connaissances, l’élévation spirituelle et la métanoïa.

    Il s'installera une vingtaine d'années et finira sa vie à Medjybij en Ukraine, où il sera respecté et vénéré comme un véritable guide spirituel (un Tsadik) , "à la fois kabbaliste, chaman, faiseur de miracles et guérisseur, connu pour son charisme, sa piété, ses dons surnaturels et par dessus tout par sa connaissance des pouvoirs des noms de dieu".

    Il tranchera dans l'époque par sa proximité avec les gens de tous bords et la nature, en communion avec tout ce(ux) qui l'entourai(en)t (vision de Dieu en tout), les rabbins de l'époque et leur enseignement passant pour être cloisonnés et hermétiques.

    Nicolas de Flue jouera au 15ème siècle pour la chrétienté, un rôle similaire (cf. les visions de Nicolas de Flue par M.L Von Franz).

    Ses disciples, descendants et adeptes le populariseront de façon orale dans un premier temps. Son rayonnement s'étendra jusqu'à nos jours, comme le fondateur d'une branche du judaïsme orthodoxe, le Hassidisme. Mais la prophétie messianique en exergue ne concerne t'elle pas finalement plutôt son "commerce" avec l'invisible dont il fut coutumier et novateur au sein du judaïsme ? Communication qui, loin du channeling, nécessite un état d'être profondément centré, en harmonie, en plus d'une grande piété, bien évidemment.

    "Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité." (Jn. 4.24)

     

  • Gérard Haddad en vérité

    ...Les personnalités des prophètes ont cette particularité psychique de voir les trois catégories du Symbolique, de l'Imaginaire et du Réel harmonieusement nouées...Chez elles, le Nom-du-Père est parfaitement inscrit...Ce ne sont donc ni des psychotiques, ni des illuminés ni même de simples gens gens que Dieu viendrait soudain saisir.. Ce sont nécessairement des érudits et des hommes aux hautes qualités morales...p.55

     

    gerard haddad,marc leboucher,le silence des prophètes,forum salvator,le complexe de caïn,isaac et ismael,spetembre 2019Le silence des prophètes est un jeu de questions réponses entre le croyant juif Gérard Haddad et son homologue chrétien auteur et éditeur Marc Leboucher, paru récemment aux éditions Salvator. L’entretien est tour à tour spécialiste sur le prophétisme hébreu, la psychanalyse, les religions monothéistes ou le conflit israélo-palestinien et plus intimiste à l'abord de la foi et du parcours de l'écrivain, également agronome et psychanalyste. Résident français, l'auteur naquit en terres arabes (Tunisie) et demeura quelques années en Israël. Amoureux de l'Italie (de par sa femme), d'art et de musique classique, il développa en tant que chercheur médecin une oeuvre singulière au contact de la Bible et de la bibliothèque hébraïque.

    Mais le silence des prophètes est avant tout une belle et limpide réflexion sur la vérité. Celle de la parole prophétique qui rend compte d'une rencontre avec l'Absolu et de la radicalité du sentiment de justice envers les plus faibles ou les plus démunis. "L'essentiel du discours prophétique, celui qui nous manque tant aujourd'hui, c'est cette critique de l'injustice que subissent les humbles et les étrangers, critique de la corruption, des mensonges, de la violence". (p.52)

    A titre plus personnel il s'agit d'un pacte en esprit envers trois maîtres à penser, Yeshayahou Leibowitz, Maïmonide et Jacques Lacan, qui surent mettre l'auteur sur son chemin à la fois singulier et personnel d’un dialogue ô combien fécond et salvateur entre le judaisme et la psychanalyse.

     

    A l'aube de ses 80 printemps Gerard Haddad évoque, après des années d’études intérieures (des années de psychanalyse avec Lacan) comme extérieures, le "complexe de Caïn" (paru en livre en 2017), un fratricide tout aussi vivant et imposant que le complexe d'Œdipe, qu'il compte bien développer dans son œuvre littéraire même s'il n'en est pas le précurseur.

    Le complexe de Caïn, c'est l’idée d'un double en soi, opposé peut être à la vérité du sentiment, que chacun porterait en germe à condition qu'il ne devienne pas sourd à cette voix des profondeurs (A laquelle Jung, anciennement disciple de Freud, consacra sa vie et son oeuvre).

    En effet, le silence des prophètes parle aussi de la disparition programmée, selon l'auteur, de toute voix juive discordante au nationalisme Israélien galopant, fort du soutien de quelques millions de chrétiens (ou assimilés) très à droite, américains évangélistes ou autres. Le sionisme, ou ce qu'il est devenu, porte en soi la négation même d'un discours inspiré qui n'abhorrerait pas l'étranger, pour ne pas le citer son frère arabe issu du même père Abraham.

    Comme André Chouraqui ou encore Louis Massignon, l'auteur, un temps résidant israélien et sioniste, milite pour un pouvoir binational en espérant encore une réappropriation par le mythe comme démontré parfaitement dans son dernier livre paru "Ismaël et Isaac ou la possibilité de la paix".

    En bonus un court entretien réalisé par mail en Novembre 2019 avec l'auteur, ici.

     

  • De l’Amour équanime du Révélateur

    Coran 46,10 : Dis : "Que direz-vous s'il s'avère que ce Coran que vous récusez émane réellement de Dieu et si, parmi les fils d'Israël, il se trouve un témoin qui en atteste la conformité (au Pentateuque) et qui y adhère lui-même, pendant que vous, vous le rejetez avec orgueil ? En vérité, Dieu ne guide point les injustes". (M. Chiadmi)

     

    Meir Michael Bar-Asher,Les Juifs dans le Coran,ALbin Michel,Université hébraïque de Jéusalem,Les juifs et les arabes sont des frères de langue, d'espace et de culture religieuse, comme l'ont montrées récemment les traductions simultanées de la Bible et du Coran d’André Chouraqui. C'est aussi ce que tente de démontrer Meir Michael Bar-Asher avec « les juifs dans le Coran », paru récemment aux éditions Albin Michel.

    La domination d'un peuple sur l'autre date de l’hégire à Médine de Mohammad et des relations houleuses des premiers musulmans avec les juifs locaux. Ces derniers ont tôt eu la situation de "dhimmis" (soumission et protection) face aux adeptes de l'islam naissant et ils versaient un impôt de capitation.

    C'est depuis le XXème siècle que la situation s'envenime avec la renaissance de l’État fort d’Israël et le retour en terre palestinienne des 102 diasporas disséminées de part le monde, entraînant un rapport de force inédit depuis quatorze siècles.

    On pourrait croire que la fierté des uns (les musulmans) répond à l'orgueil des autres (les juifs) mais pour qui entreprend un travail de sape de l'ego il n'existe que des échanges fructueux entre des cultures spirituellement proches, au regard de la prophétie sémite.

    Pour preuve "les juifs apparaissent en Arabie dès le VIème siècle avant notre ère" ; le Coran est écrit « dans un arabe beaucoup plus pétri d'influences hébraïques et araméennes que l'arabe classique" ; l’élection des deux communautés semble être à la fois conditionnelle et temporaire ( si l'on ordonne le convenable, interdit le blâmable et croit en Dieu) ; il y a "beaucoup de vestiges du Midrash ou de sources post-bibliques dans les textes exégétiques musulmans" ; "des clés de passage du Coran se trouvent dans le récit  biblique" ; les chercheurs attribuent la prépondérance des aspects légaux dans le Coran médinois à l'influence de la communauté juive locale ; l’islam "s'est construit avec et contre sa référence juive" ( la prière, sa direction, le jeune, les lois alimentaires et le calendrier) ; enfin le Coran en tant que Parole divine relate longuement l'histoire des ancêtres israélites.

    Belle réflexion dans ce livre également sur la notion de "serviteur de Dieu", synonyme de fils d’Israël et d’Abdallah (surnom de Mohammed et nom de son grand-père). Et l'on peut se poser la question de savoir si l’élection divine n'est pas plutôt affaire de personne plutôt que de communauté quelle qu’elle soit, de purification du Cœur (et Dieu purifie qui IL veut) plutôt que de l'observance de rituels …

    Le livre évoque davantage les aspects légaux du Coran et l'histoire des prophètes juifs que la prophétie coranique et son Rappel incessant de l’Heure du Jugement dernier. Ce Rappel est porté par toute une communauté, avertie qu'elle devra répondre de ses actes.

    Les juifs sont très présents textuellement dans le Coran mais on ne sait pas ce qu'ils pensent du Livre révélé des musulmans (l'est-il pour eux ?) et de la mission ou du titre du prophète Muhammad. Le travail historico-critique de l'auteur ne semble pas valider l'hypothèse de cette continuité de la prophétie à travers le Coran…

     

  • L'Histoire de Yahvé - enquête sur le mythe divin

    ron.jpegRon Naiweld est un historien du judaïsme ancien au CNRS. Dans l'"Histoire de Yahvé" il désacralise le Nom (que l'on ne prononce pas chez les Juifs) et propose une relecture mythique de la Bible qui devient "le récit d'apprentissage du dieu".

    L'auteur étudie notamment le processus d'universalisation et de monothéisation de Yahvé dans les premiers siècles de notre civilisation avec l'émergence du christianisme et son entrée, grâce à Paul, dans la psyché de chacun.

    A l'origine de la foi monothéiste on retrouve aussi une réflexion philosophique pour insérer le mythe dans une culture dominante. Une étude passionnante qui rend le dieu plus accessible encore.

     

    Ron Naiweld répond à quelques questions de Choeur :

    Choeur : Le point de départ de l'enquête est une "sensation curieuse et désagréable du poids du pouvoir des prêtres". Finalement vous questionnez les religions monothéistes et, à titre personnel, votre foi d'enfant avec des outils d'adulte ?

    Ron Naiweld : Je questionne plus particulièrement le pouvoir que j’appelle « psycho-politique » des religions monothéistes qui n’est pas confiné au domaine de la religion. Je porte vers elles un regard admiratif et critique. J’admire leur pouvoir d’introduire dans l’esprit un maître imaginaire, et je crains leur capacité d’abuser de ce pouvoir. Enfin, je m’interroge en tant que Juif et historien des Juifs sur un phénomène que je trouve fascinant : l’universalisation du mythe biblique dans le monde gréco-romain.

     

    C : Vous faites une lecture mythique de la Bible et décrivez l'accession de Yahvé au panthéon des divinités (le monothéisme) comme une usurpation d'Identité, aidé en cela par quelques "illuminés notoires" (Philon,Paul...). Pour vous c'est un faussaire ?

    R.N : Qui ? En tout cas, je ne vois pas les choses dans les termes d’usurpation mais d’une hybridation de deux divinités, Yhwh et Dieu. Les « faussaires » seraient les êtres humains qui effacent la différence stipulée dans le texte entre Yhwh et Elohim. Je crois que cet effacement se stabilise à l’époque hasmonéenne (c’est le sujet du troisième chapitre). Puis, au premier siècle, on voit le travail d’un autre « faussaire » qui est Saint Paul, qui lit l’histoire de la création du monde en identifiant Yhwh à Elohim (comme les autres lecteurs juifs du mythe avant lui) et puis en disant que l’homme fut créé immortel et la punition de Yhwh était de le rendre mortel. Ce n’est pas l’histoire que raconte le texte de la Genèse.

     

    C : "Jalousie, rage, insuffisance intellectuelle et moralité douteuse" caractérisent Yahvé dites-vous. On a l'impression d'avoir affaire à un tyran notoire, comme peut l'être un petit enfant ou encore le "petit ego" de l'adulte. Néanmoins une intelligence est à l’œuvre chez Yahvé puisque "le motif récurrent de l'histoire de dieu, ce qui était d'abord considéré comme une menace devient, successivement, un mal nécessaire puis un outil qui l'aide à établir son pouvoir" (p.136)...

    R.N : Oui. J’offre une clé de lecture de la Bible qui y voit le récit d’apprentissage du dieu.

     

    C : Dans "Réponse à Job", Le psychanalyste suisse Jung fait également une description peu ragoutante de Yahvé comme un dieu relativement inconscient et dont la part d'ombre serait le Satan (qui persécute Job). Pour Jung il s'agit d'une alliance entre le créateur et Sa création où les deux s'entraident dans un processus de conscientisation, comme si Dieu(x) (Elohim) était encore à naître au sein de l'humanité consciente.

    R.N : Oui, on trouve la même idée de synergie entre le dieu et l’homme chez des penseurs juifs comme Hermann Cohen ou Martin Buber. C’est une idée qui s’inscrit dans la tradition philosophique qui cherche l’union des hommes dans la pensée ; une union conceptuelle qui n’appartient donc pas tout à fait au monde des apparences. Mais dans la perspective anthropologique qui est la mienne, l’union humaine, universelle, conçue par la Bible ne se trouve pas au niveau des idées mais dans la parole et dans l’histoire. Le potentiel universel du mythe vient donc de sa capacité de faire croire aux gens qu’ils vivent la même histoire. Je crois que malgré le fait que la Bible soit étudiée depuis longtemps, ce potentiel n’a pas encore été entièrement exploré. Depuis l’universalisation de ce texte dans le monde gréco-romain, on a souvent nié sa dimension mythique (et les juifs et les chrétiens, mais pas tout à fait de la même manière). On a fait oublier que c'était aussi le récit d’un dieu. Et pourtant c’est de là que vient la puissance du texte biblique (et, du coup, son intérêt pour des lecteurs qui ne sont pas croyants).

     

    C : Vous décrivez dans ce livre les étapes de l'universalisation de Yahvé, sa stratégie géopolitique en quelque sorte : Posséder un peuple (le peuple juif), une unicité politique (convertir l'Empire), une place de choix dans l'esprit de tous (mythe sur l'origine de la mort). Qu'est-ce qui caractérise selon vous le peuple juif à travers les multiples étapes de son histoire religieuse ?

    R.N : Du point de vue de l’histoire du mythe occidental que j’essaie d’élaborer dans ce livre, et les Juifs et les Chrétiens remplissent la même fonction – inscrire le mythe de Yhwh dans l’histoire. Les modes d’inscription sont différents. On peut même dire que celle des Juifs est plus avancée car elle est fixée au deuxième et surtout au troisième siècle, lorsque le pouvoir impérial se déploie de plus en plus par le discours juridique, du droit (la date de 212, l’universalisation du droit de cité romaine, est cruciale. La Mishnah, qui est le texte fondateur du judaïsme rabbinique, est composée quelques années plus tard). Le judaïsme rabbinique, comme système théologico-politique, s’élabore donc dans un autre monde que celui du premier siècle, lorsque les textes fondateurs du christianisme furent rédigés. Mais ce judaïsme-là va se déployer surtout sous l’Islam et le Christianisme, deux religions qui s’enferment dans le mythe monothéiste que le judaïsme rabbinique a déjà réussi à dépasser.

     

    C : La "monothéisation" est d'abord philosophique avant d'être universelle ?

    R.N : Dans la mesure où l’idée philosophique de Dieu est universelle (c’est le Dieu de tout, créateur de tout…), alors les deux vont ensemble. Mais si on pense à l’universalisation du mythe du point de vue anthropologique (c’est-à-dire sa diffusion parmi les êtres humains) alors on peut dire que la monothéisation est d’abord pratiquée par des philosophes avant de devenir une pratique générale. En tout cas la monothéisation n’est pas une affaire classée. Elle s’opère chaque fois qu’un lecteur aborde le texte avec des lunettes monothéistes. 

     

    C : Vous ne croyez pas au renouvellement de l'intelligence, au Verbe, soit la fonction salvatrice de Jésus-Christ aux yeux de Paul (entre autres), qui prend la voix du Maître intérieur ?

    R.N : Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que je partage cette croyance mais je ne l’associe pas à Jésus-Christ de la même manière que Paul. C’est-à-dire – je ne crois pas que pour renouveler l’intelligence on soit obligé de croire en Jésus-Christ.

     

    C : En réfutant le pouvoir de Yahvé et donc son universalité, n'affirmez-vous pas votre croyance profonde en Elohim, le Dieu(x) originel omniscient, bon et tout puissant ?

    R.N : Je ne comprends pas la question. Tout le livre est une interrogation sur le pouvoir de Yhwh et son potentiel universel. Dans l’histoire mythique que j’essaie d’élaborer dans la première partie du livre, Elohim est l’assemblée divine qui n’est pas nécessairement omnisciente et toute puissante. C’est une autre instance, un autre personnage de l’intrigue. Mais qu’est-ce que cela veut dire, croire en un personnage ?

     

  • A l'heure d'Israël : Un trésor du Judaïsme exhumé

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    Trente ans après l'événement, Albin Michel exhume avec les héritiers Chouraqui et l'historien des idées Denis Charbit, le riche échange qu'eurent à Jérusalem Léon Askénazi et André Chouraqui sur Israël.

    Qu'attendre d'autre entre un Maître talmudique surnommé "Manitou" et le traducteur des trois principaux textes sacrés et pourfendeur du dialogues interreligieux des trois monothéismes abrahamiques ?

    Le mimétisme de parcours fait de ce dialogue un duo à la cause du sionisme et de la renaissance spirituelle de l’État d'Israël. Les sujets abordés à l'époque restent au cœur des problématiques mondiales actuelles puisqu'éternels dans le cœur des croyants : prophétie(s), messianisme, dialogue interreligieux, identité de Jésus, Kabbale et lectures hébraïques parsèment ce livre qui se veut aussi explicatif et historico-politique sur le projet sioniste.

    La magie de la relation opère et atteint des hauteurs de vues rarement égalées à notre époque moderne.

    Reste à mesurer la distance prise actuellement par le projet politique sioniste et son ambition spirituelle originelle. L'antique prophétie se réalise en effet pour les exilés juifs de 102 pays : "La langue, la culture et la nation hébraïque ressuscitent" en l’État d'Israël...mais en faisant de la nation juive le seul peuple élu, "capable de réaliser cette unité de l'homme en chacun et pour tous et que les prophètes ont nommé le fils de l'Homme", le sionisme ne se détache t'il pas du projet universel divin d'appeler "Pierre d'Israël" ceux qui, symboliquement, entreprennent ce retour vers Dieu, toute confession (ou hors confession) confondue, le chemin des cœurs unis ?

    Un document exceptionnel introduit et annoté par Denis Charbit, spécialiste du sionisme et professeur en sciences politiques.

     

  • David Hamidovic est aussi un bâtisseur de ponts

    david Hamidovic.jpgDavid Hamidovic est actuellement le Doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l'Université de Lausanne. Il est aussi, en tant qu'historien du judaïsme ancien, l'auteur de plusieurs livres dont "l'interminable fin du monde" et "l'insoutenable divinité des anges", parus aux éditions du Cerf et imbriqués dans une trilogie future.

    Médiachoeur avait donc, étymo-logiquement parlant, quelques questions à lui poser...

     

    Crédit photo : unil.ch