Dans ces groupes, à cette période, j'ai inscrit de manière vivante la troisième série de mes œuvres. (Incipit)
Un document inédit et exceptionnel est publié par les éditions Éolienne, un double volume de 700 pages sur les groupes Gurdjieff de Paris, de 1943 (tome 1) à 1944 (Tome 2).
En collaboration (pour la traduction franco-russe) et à l'initiative de Madame de Saltzmann, ces questions-réponses sont un témoignage direct de l'enseignement que donnait G.I Gurdjieff à son domicile parisien pendant la guerre (“Ici, 6 rue des colonels renards, tout va pour l'essence, ailleurs tout va pour notre corps”. p.346 T.1), essentiellement l'administration d'exercices en vue de passer du moi au “Je”, de la pensée associée à un corps à une individualité libre et centrée.
On découvre un Gurdjieff très à l'écoute, doté d'une grande mémoire, exigeant mais empathique pour ceux qui s'investissent corps et âme (avec leur essence) dans ses recommandations pratiques (exercices de détente des muscles, du “Je suis”, du dédoublement, du “chaud/froid/tristesse, des 7 respirations ou encore du contact avec un défunt...) toujours adaptées à son interlocuteur en fonction de sa problématique et de sa progression (le tome 2 notamment).
Le Maître caucasien ne cherche pas des adorateurs mais des frères et sœurs, engagés à ses cotés pour le bien de l'Humanité à venir. On retrouve en lui ce qui faisait le charme de Belzébuth dans sa relation à son petit fils Hassin (cf son livre phare) : proche, taquin, gouailleur et profondément connaisseur de la “psycho-pathologie” de l'être humain avec son franc-parler si caractéristique (merde, nullité, femme hystérique, vache, hareng salé, sentiment de putain, chiens...) ainsi que des lois universelles gouvernant ce dernier.
Pour l'essentiel de la théorie et de la pratique, il s'agira de jouer un rôle extérieurement tout en restant libre et impartial intérieurement. Selon l'auteur, il est possible de se désidentifier du “moi-corps” et consolider le “Je-Centre” (autrement appelée la Présence) par un travail intérieur conscient qui provoque des remords de conscience. Dans le présent, les manifestations malsaines ou mauvaises issues du passé sont “vues” (hérédité, éducation, jeunesse) et éprouvées. C'est cette souffrance volontaire qui crée une substance (l'essence), une individualité, une émanation (le corps Kessdjan ou lumineux), un centre de gravité (le plexus solaire) à partir duquel le potier modèle.
“Et lorsque vous éprouverez des remords de conscience, donnez-vous votre parole de ne pas refaire dans l'avenir ce que vous avez fait dans le passé. Juste avec le présent vous réparez le passé, en voyant comment il faudra agir dans l'avenir”. (p.83 T.2)...”Il faut arriver à ce que la conscience parle impitoyablement en vous” (p.128 T.2)
Car Gurdjieff, à l'image d'un chamane magnétique, percevait parfaitement ces vibrations subtiles, il lisait et scannait les moindres changements dans l'énergie et ces informations constituaient la base (matière première) de ses nouveaux et innombrables exercices de rappel de soi :
“Depuis que je vous vois, vous n'êtes jamais équilibré. Ou amour-propre ou imagination. Toujours un peu de psychopathisme, jamais un état sérieux pour réparer les conséquences du passé”. (p.311 T.2)
“Et maintenant je vois tout. Votre intérieur est illuminé pour moi comme un tableau : vous m'avez aidé à vous aider”. (p.261 T.1)
On peut légitimement dresser ici un parallèle avec l'enseignement de Carlos Castaneda qui insistait sur la récapitulation (ici les remords de conscience qui créent de la lumière de conscience), la constitution d'un corps de rêve (ici la substance accumulée par travail) grâce à l'accumulation de l'énergie (ici la substance ghanbledzoine) et la nécessité de “stopper le monde” (ici les pensées ou associations doivent devenir juste une fonction grâce aux exercices). Parallèle qu'avait bien perçu à l'époque Patrick Négrier.
Peu de digressions cependant dans ces deux opus sur des sujets ésotériques ou religieux. Gurdjieff ne s'intéresse ici qu'à la pratique mais en filigrane apparait de lui un portrait plutôt flatteur au sens dévotionnel et chrétien du terme, rappelant que “notre but c'est ça : unir ces trois forces (logique/corps/volonté ; Dieu le Père/Dieu le Fils/Dieu le Saint-Esprit ; force positive/force négative/force d'équilibre ; Sainte affirmation/Sainte négation/Sainte conciliation) en les contenant, pour être.
Deux volumes pour les chercheurs de vérité de tout âge, les adeptes d'une voie spirituelle ou les découvreurs et passionnés du mystère Gurdjieff. Chacun y trouvera son compte, son échelon ou sa motivation pour le travail conscient, en tout cas une clarification de la méthode d'enseignement singulière du Maître de danse, un monstre de connaissances empiriques.
“Vous êtes né. Votre individualité est née. Vous étiez avant comme un animal sans “Je”. Maintenant vous avez un “Je” et les propriétés d'un homme. Cet exercice vous a donné cela. Avant vous n'aviez pas d'individualité, vous étiez le résultat de votre corps comme un chien, un chat ou un chameau. Maintenant si vous avez des cornes, vous pouvez les voir et vous en étonner”. (p.182 T.1)