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avril 2022

  • Amour impérial

    l’empereur et son fils,catherine pallaro,judith gueyfier,didier  jeunesse,conte chinois,transmission,héritier,avril 2022« Il était empereur. Son palais était somptueux. Son empire immense. Son peuple l’aimait »

    Bleu profond, vert d’eau, lilas, ces couleurs nous sautent aux yeux et illuminent Lempereur et son fils , édité chez Didier Jeunesse de Catherine Pallaro (texte) et Judith Gueyfier (dessin). Le crayon de l’illustratrice fait apparaître en douceur des personnages aux traits expressifs et au regard intense. Derrière l’apparente simplicité du geste apparaît la consistance du dessin, tout comme la petite histoire s’amplifie, prend de la hauteur et nous touche durablement.

    « Mais chaque jour, à l’heure où ses conseillers venaient lui rendre visite, une ombre passait sur son visage »

    Un empereur bon règne avec sa femme sur son royaume. Il est aimé du peuple mais il n’a pas d’héritier. Malgré les réticences de ses conseillers il décide d’adopter un enfant plutôt que de répudier sa femme. Il organise un concours pour trouver la perle rare, celui qui sera digne de lui succéder. C’est ainsi que les lecteurs découvriront ce qui est le plus important aux yeux des époux. La nature et les fleurs ont une place prépondérante dans cette histoire, loin d’être mièvre.

    « Et voici ce que vous allez faire : convoquez nos messagers, remettez-leur les graines que me femme et moi avons préparées »

    On ne se lasse pas de ce conte venu de Chine, raconté par Catherine Pallaro, et l’on ne peut s’empêcher de le relire, de méditer sur le thème de la transmission, puis de s’attarder à chaque page pour admirer toutes les subtilités du dessin de Judith Gueyfier et les petits détails que notre œil aurait loupé.

    Image: Didier Jeunesse

  • L'amour en partage

     

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    Dans Les élucubrations d'un homme soudain frappé par la grâce, donné en trois représentations au Radiant Bellevue de Caluire, un comédien fuit sa propre pièce qu'il a écrit et se retrouve sur un autre plateau, celui du Dernier bar avant la fin du monde (une forme de spleen générationnel ?), dans lequel il s'attarde en compagnie du régisseur (Christophe Meynet), à parler de tout et de rien. Edouard Baer compose ses élucubrations sur une base nostalgique, l'évocation de grands personnages historiques (Malraux, Bonaparte, Jean Moulin, Jésus...) ou culturels (Bukowski, Jean Rochefort, Romain Gary...) qui l'ont fasciné comme hommes ou mentors par leur parole toujours incandescente.
    Il se glisse avec émotion juste dans leurs mots ou leur corps par interstice, pour mieux leur rendre hommage et les fêter (ces fantômes inspirants) en ne cessant de s'interroger sur son rôle, son succès bâti sur ce génial ressort comique mais qu'il estime peut être trop léger, facile ou manquant de poids, de gravité ou de sérieux en comparaison : ce fameux sentiment d'imposture contrebalancé chez lui par une exigence de profondeur.
    Pourtant s'il y a quelque chose plutôt que rien, si la tendresse humaine, la malice enfantine ou le regard poétique imprègnent chacune de ses saillies (co-mise en scène d'Isabelle Nanty), c'est aussi par cette grâce qui le fait s'oublier pour se donner entièrement à l'autre, partenaire ou public, et le magnifier. Ainsi la balle revient à l'envoyeur comme un acte désintéressé et c'est la joie dans le jeu. Cet effort sur soi pourrait s'expliquer de manière métaphysique mais Edouard Baer préfère le parti d'en rire pour mieux supporter le manque, l'absence, et célébrer à sa manière l'éphémère beauté de la vie. 

    Crédit photo : Radiant

  • Sublime diversité

    Nos identités celles qu’on nous impose celles que l’on cache, Hawa N’Dongo, Nocturne, Sarak Saysouk, Grâce Ly, Aya Cissoko,Jennifer Padjemi, éditions Rageot, association Diveka, diversité, avril 2022Réunir six autrices d’horizons divers pour parler de la diversité ou plutôt raconter des histoires multiples. Tel est le pari des éditions Rageot et l’association Diveka avec le recueil Nos identités celles qu’on nous impose celles que l’on cache. Lire d’autres voix, entendre d’autres rêves, vivre d’autres sensations. Et peut-être se réjouir que ces nouvelles plumes captent si bien l’air du temps et arrivent à point nommé pour exprimer toutes les humanités qui coexistent et passent pourtant souvent à côté des radars. Ainsi, elles seront un premier pont vers des lecteurs réticents car absents des récits puis une petite graine pour de futurs écrivains et écrivaines prenant soudain confiance en eux. Seulement ces voix ne doivent pas être éphémères le temps d’un projet ou d’un concours de circonstance. Ainsi, espérons que nous suivront Hawa N’Dongo, Nocturne et Sarak Saysouk aux côtés de Grâce Ly, Aya Cissoko et Jennifer Padjemi, les membres du jury, qui partagent également leurs récits. Leurs noms deviendront peut-être familiers à nos oreilles, et pourquoi pas étudiés en classe (thèmes inspirants), partagés, pas seulement par un petit nombre d’initiés mais par chacun et chacune puisque de la diversité émerge l’unité.

    Dans ces six nouvelles , il est beaucoup question de transmission, comme Basilia, dans La poésie du Bubble tea de Grâce Ly, qui n’aime pas  son prénom et à qui sa maman n’en a jamais expliqué l’origine. Peut-être est-ce enfin le moment d’en savoir plus pour s’aimer un peu mieux ? Dans L’initiation, nouvelle théâtrale, d’Aya Cissoko, Hatouma et Massou, mère et fille, l’une née au Mali et l’autre en France, ont beaucoup de mal à se comprendre et vont faire en une nuit, le pas l ‘une vers l’autre, qu’elles n’avaient jamais osées accomplir. Lola, héroïne d’Un latte, s’il vous plaît de Jennifer Padjemi ne supporte pas d’entendre parler de colocation. En effet, elle vit mal la situation de pauvreté dans laquelle sa mère et elle vivent et n’ose pas prendre son indépendance. Enfin, Hawa N’Dongo nous raconte l’histoire d’ Astou et La photo de Classe. L’adolescente est beaucoup moins enthousiaste que ses parents à l’idée de porter un costume traditionnel pour la photo de classe du collège. Petit coup de cœur pour cette dernière nouvelle qui pourrait être lu à l’école juste avant que les flashs ne crépitent. Une manière d’être fière de ses origines plutôt que de les cacher honteusement.

    Étouffer ce qu’on est, qui on est, c’est souvent ce que font les protagonistes avant de se rendre compte à quel point cela fait partie de leur richesse et leur singularité, même si la société les laisse de coté pour cela. Dans la nouvelle de Nocturne, Hors du Terrier, Ciguë vit protégée, à la campagne, où ses préférences ne sont pas un problème. Ce n’est plus le cas en ville : lesbienne, noire, non-binaire, hypersensible, les différences dérangent et le chemin est long pour être accepté tel que l’on est. Un écho à Voyage entre les mondes de Sarak Saysouk où Sourya se sent mieux avec son avatar devant un jeu vidéo pour communiquer avec une fille de sa classe que dans la vraie vie. De peur d’être rejeté parce qu’il est autiste Asperger, l’adolescent prend les devants pour éviter d’être humilié. Heureusement les vraies rencontres peuvent tout changer. Un peu comme plonger dans une histoire touchante et vibrante, qui nous permet de regarder le monde avec une autre paire d’yeux et vous élargir la vue.

    Image: Rageot édition

  • Au coeur de la Taïga

    Non pas un rêve, un vrai monde, ton monde...


    Tigran,Shaman-La Quête,Mama éditions,Mongolie,vision,rêve,esprits,initiation,chamanisme,Avril 2022Shaman de Tigran sera une trilogie qui paraît chez Mama éditions.
    Le premier volume, la Quête, nous emmène sur la steppe mongole où un jeune français a été adopté et reconnu comme fils spirituel d'une chamane, Otharjanat. Cette dernière l'a vu lors de leur première rencontre et a su qu'il perpétuerait sa lignée car on naît chaman. Il faut dire que le héros faisait des rêves étranges, jeune, qui l'emportaient dans un tout autre monde, celui de la magie. Pas de fioritures ici, on rentre directement dans le vif du sujet.
    La Quête est l'histoire de cette transmigration d'âme, de son initiation au sein de la communauté en tant que guérisseur et de sa rencontre avec la belle autochtone Hilga, promise à un autre homme du clan mais destinée par les esprits tutélaires à une autre alternative...
    Petit livre aux courts chapitres tels des flashs, comme ceux vécus par l'auteur avec ses allers-retours dans l'autre réalité, ce premier tome est haletant et nous immerge complètement dans l'univers chamanique, ses rites, ses croyances, ses esprits, ses animaux passeurs aussi comme Arzan, le cheval grège, qui accompagne le héros dans sa quête initiatique.
    Y est introduit une réflexion sur l'espace-temps, où passé et futur s'entremêlent pour conforter le Shaman dans la maîtrise et la confiance en soi, ses pouvoirs, ses visions mais surtout sa capacité à laisser œuvrer l'esprit à travers lui.
    C'est la suite qui déterminera la saveur et la teneur du récit même si  ce premier jet se suffit à lui-même comme condensé ou essence du chamanisme.

     

  • Une requête légitime

    La pensée divine nous invite à chercher le meilleur en nous, à nous comporter sans violence envers les autres, appliquant l'entraide et protégeant la nature. C'est ainsi que l'homme pourra éradiquer la bête en lui et retrouver son humanité, en s'immunisant contre l'influence du cerveau reptilien”. (p.208)

     

    pensée dieu.jpgLe titre interpelle, "De la Pensée de Dieu à la Parole du Prophète", tant on croirait les termes logiquement inversés. Mais c'est bien la thèse forte intéressante et a propos  d'Abdellatif Laroui qui paraît aux éditions Erick Bonnier.
    Plutôt que de la voir transcendante et éternelle, immuable et incréé il considère cette Parole divine comme une Pensée, sous entendu une intention, une direction, un concept d'idées, un message cosmique présent en tout temps et que certains individus tels les prophètes, capteraient et retranscriraient dans des contextes socio-historique et psycho-culturel définis.
    Au lieu d'être figée à l'interprétation et au philtre de la raison, cette Parole prophétique reste vivante, créative, symbolique, conférant à l'universel parfois ou carrément datée.
    Avec beaucoup d'humour et de sens critique, l'auteur dénonce aussi la sacralité de cette Parole prophétique (qui divinise pour le coup Muhammad et humanise Allah) en Islam sunnite notamment, sous forme de hadiths, Sunna ou jurisprudence des oulémas.

    Dans une seconde partie Abdellatif Laroui entend réhabiliter la philosophie (Ibn Roshd plutôt qu'Al Ghazâli : l'un Maître de sa pensée, l'autre que le réceptacle), le discursif sur l'intuitif,  pour combler le retard pris par la civilisation musulmane dans sa soumission au Transcendant et Son ingérence en tout (le Mektoub contraire au libre arbitre ?), le dogme étant devenu pour lui “un instrument au service du pouvoir politique et la Religion un moyen de domination pour contrôler les masses”.

    Discerner les versets intemporels des contextuels nécessite, à notre sens, une science du Verbe : son essence, origine et sa destination. La raison a ses limites, terrestres et humaines mais peut s'approcher d'un message ou d'une Parole insufflée en poids, souffle et vérité...essayer tout du moins de l'interpréter ou de le mesurer.

    Le dévoilement du Verbe, en son sens plénier, gagnerait plutôt, dans l'alliance ou le rapprochement philosophico-mystique, a-mental, comme la médecine moderne avec la parallèle et la science avec les Religions. Ces deux sœurs ou voies illuminatives ne sont-elles pas en effet, in fine, unes en essence ?

     

  • La vie intense-aimant

    "Ici ce n'est plus elle qui écrit, c'est le langage devenu vivant qui s'invite en elle et qui l'inspire. Au point qu'elle nota plus tard ceci : "Souvent je ne fais en écrivant que suivre la lumineuse glissée de la langue qui capte elle-même ce qu'a peine j'ose penser et dire". (p.132)


    Audrey Fella,Christiane Singer,une vie sur le fil de la merveille,Albin Michel,Graf Durckheim,pardon,amour,présence,être,mystique,écriture inspirée,biographie,Avril 2022Audrey Fella ne tarit pas d'éloges sur Christiane Singer dans la biographie qu'elle lui consacre chez Albin Michel, sous titrée “une vie sur le fil de la merveille”.
    Visiblement très marquée et touchée par ses écrits, elle recompose un portrait kaléidoscopique à partir de ceux-ci, une vingtaine de romans et d'essais qu'elle résume et dont elle fait l'exégèse littéraire de façon chronologique.
    Audrey Fella a également beaucoup investigué auprès de sa famille et proches (les deux femmes ne se sont pas rencontrées), nous rendant contemporaine l'acuité de son âme créatrice et la fécondité de son esprit.
    L'ouvrage est plaisant, bel exercice de style, et nous fait découvrir la vie pleine et ardente d'une exilée judéo-chrétienne (par l'origine de ses parents) qui suivit son mari dans un pays belligérant, l'Autriche (elle a grandi à Marseille).
    Douée pour l'écriture depuis enfant, elle tendra vers l'épure et le minimalisme poético-mystique plutôt que l'intellect pur et raisonné, en entamant un travail sur elle-même (l'enseignement de Graf Durckheim, le zen, le souffle, le chant, le toucher...) et sur sa constellation familiale.
    Ses écrits sont emprunts d’intériorité, de la croyance en l'être et en la foi d'une Présence amoureuse préexistante à la Création. Sa vie partagée entre mariage (elle aura deux fils), écriture et conférences ou même enseignement (avec tout ce qui l'aura mise en lien avec la profondeur) lui fera renouer avec le pardon (les horreurs nazis sur les membres de sa famille), l'Amour et la louange, le retour au Christ sur la fin de sa vie (elle meurt à 64 ans d'un cancer de l'utérus).
    Elle n'aura de cesse d'écrire jusque sur son lit d'hôpital (derniers fragments d'un long voyage) sur les thématiques  du vivant : les âges de la vie, l'éros et la sensualité, le féminin, la naissance et la mort, l'amour et la passion, incarnant pour ceux qui la côtoyèrent, une incandescence, un degré de vie, une exigence étrique.
    Il semble en effet, à la lecture de l'ouvrage, que
    Christiane Singer, qui se voyait  vieille âme, ait brûlé intensément à chaque instant de sa vie pour témoigner en tant qu'instrument du divin, de la merveille de la création, au sein de laquelle nous sommes tous, c'est encore elle qui l'a vu et su, inextricablement liés.


    "
    Je ne veux savoir des êtres que je rencontre ni l'âge, ni le métier, ni la situation familiale...mais de quelle façon ils ont survécu au désespoir d'être séparés de l'Un par leur naissance, de quelle façon ils comblent le vide entre les grands rendez-vous de l'enfance, de la vieillesse et de la mort, et comment ils supportent de n'être pas tout sur cette terre". (p.192)

     

  • La passionaria chrétienne

    Lorsqu'il n'y a plus aucun sens à la vie, plus aucun repère, que nul ne sait ce que veut dire "se verticaliser" et que l'humanité confondue avec ses animaux intérieurs s'épuise, rampante, dans des rapports de force, tout est ténèbres. Le bouclier du Satan tente de faire manquer la cible”. (p.134)


    va.jpgAnnick de Souzenelle a 100 ans. Pour l'occasion, Albin Michel ressort en poche un de ses livres clé écrit en 2013 Va vers toi, augmenté d'une formidable et claire synthèse de toute son œuvre, l'arc-en-ciel et mon testament (ses derniers écrits après Le Grand Retournement), qui nous rappellent à quel point elle fut à sa manière prophétesse d'un à-venir de l'humanité, son entrée ontologico-apocalyptique dans l'éternité.
    Son enseignement (plus de 20 livres et une école associative Arigah), provenant d'une relecture illuminative en hébreu de la Bible, peut s'assimiler à un dévoilement de l'essence ou esprit du texte sacré (ésotérique en ce sens), dans une voie unitive universelle de divinisation de l'homme.
    "
    Est ontologiquement mâle tout Adam qui se souvient de son féminin, Autre côté (et non pas la côte) ou intériorité, au sein duquel est la semence divine à faire germer et croître."
    Ceci posé, le retournement ou souvenir de sa grandeur (d
    'ensemencé devenir ensemeur) n'est pas naturel dans un monde tout extérieur où l'émotion prime.
    Religieux, (psychanalysés ?) ou adeptes d'une voie spirituelle ont en commun, peut-être plus que les autres, ce lent travail de conscientisation des énergies animales (jalousie, colère...) et de leur réintégration sous forme de connaissance-information pour
    muter , s'élever vers le ciel ou spiritualiser la matière. Tant que l'on ne sacrifie pas possession, jouissance et puissance (les 3 principales tentations) sur l'autel des vanités, il y a toujours ce risque d'inflation, de se croire accompli sans l'être devenu.
    Ce levain collectif ou petit nombre (la souche de Jessé ?) peut, d'après l'optimiste auteure, suffire à faire basculer l'humanité entière dans une évolution de conscience, et amener in fine un mental parfois diabolique à une ouverture de cœur.
    Ce fut son expérience comme celle de quelques mystiques en tant que relation vivifiante à l'Autre en soi, le Christ pour les croyants de tous bords, précurseur d'une force apte à écraser la satanée tête dans un élan de compassion.
    D'autres suivirent comme l'archange Mickaël ou le signe de l'alliance renouvelée qu'incarne Mohammad pour l'Islam, qui signifie “abandon à Dieu”.
    Les méditations d'
    Annick de Souzenelle ont la forme de sa tradition chrétienne orthodoxe, un peu ardues parfois, mais parlent a tout chercheur du Nom secret enfoui dans la profondeur de son inconscient, appelé pour le coup à devenir UN-conscient.