Cutouts est sans doute l'album le plus représentatif du trio gagnant composant The Smile. Loin d'être des "chutes" d'une session d'enregistrement, les 10 chansons de haut niveau émotionnel du troisième opus sont une mosaïque de couleurs et de fusions de styles, un concept expérimental varié et créatif. Pour certains déjà joués en début de tournée (2022), les titres trouvent ici une texture définitive et s'insèrent dans un tout cohérent, libre d'attaches et de carcans. L'écoute répétée suscite magie et émerveillement, comme le dernier film de Coppola. L'ouverture est le maître mot, adjoignant l'impro jazz à la palette musicale déjà bien fournie.
Cinq années à se côtoyer, deux années de tournée à se synchroniser, la patte et l'univers de Tom Skinner se fait ici de plus en plus prégnante, amenant les complices de longue date Thom Yorke et Jonny Greenwood à s'amender et s'adapter, changer leur état d'esprit, toujours à essayer de trouver la note juste et livrer un son nouveau. L'inspiration se fait de moins en moins cérébrale et œuvre à des territoires inconnus, plus pop ou intégrant chœurs et/ou saxo-clarinette (Robert Stillman). Pas de hit ni de qualificatif pour sonder un titre en particulier tant l'album entier regorge de singularités. Sans doute des trois disques le plus à l'image d'une vraie alchimie trinitaire et gage de plus encore à venir, sous ce format souple, instinctif et surprenant de libertés.
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La joie dans le jeu
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Soirée soul and swing
Deux groupes très différents ont partagé la scène sous chapiteau, du festival Jazz in Marciac ce samedi 3 Aout pour sa 46ème édition.
Le groupe Delgres entame cette soirée dansante en faisant monter crescendo la température et l'effet de transe. Ce trio guitare dobro (Pascal Danae), sousaphone-trompette (Rafgee) et batterie (Baptiste Brondy) percute avec force et racines l'imaginaire, avec ses boucles cristallines, son tempo martial et ses basses vrombissantes. Le chant franco-créole du charismatique et chaleureux Pascal Danaé fait chalouper les têtes et les corps de tous âges et emporte l'assentiment général dans une liesse bon enfant. Musique de lutte (un genre de soul bluezzy), le répertoire de Delgres s'étoffe cette année d'un troisième album "promis le ciel" plus assagi textes saufs, mais le show réserve un savant mélange de rythmes et de brassages de titres, jusqu'au tsunami sonore, agrémenté d'un communiant rappel.
Doublement plus nombreux sur scène, le sextet Caravan Palace emmené au chant par Zoé Colotis brasse quant à lui les styles musicaux jusqu'à se rendre inclassable et pour le coup original. Sur fond électro, les instruments classiques se greffent pour un mélange pop swing dont des hits forcément déjà entendus.
Le public adhère en masse sur le dance floor prévu à cet effet à cette proposition musicale plus légère mais internationalement et largement reconnue. Il manquait à cette musique plus accessible mais plus diluée, ce petit supplément d'âme pour véritablement nous raccrocher au train laché à grande vitesse, emportant tout sur son passage pour ne garder que l'oubli de soi, salvateur, dans une danse effrénée jusqu'au bout de la nuit étoilée.@crédit photo : Laurent Sabathé
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Rayonnante Zaho
Attendue avec beaucoup d’impatience par le public lyonnais venu en nombre au festival des Nuits de Fourvière, Zaho de Sagazan apparaît d’emblée nature et assurée. Elle chantait ici en première partie de Juliette Armanet en 2022. La jeune femme de 24 ans auréolée des Victoires de la Musique semble déjà bien installée et prête à durer dans le paysage musical français. Les spectatrices (plus nombreuses que les spectateurs) semblent étonnées par sa maturité. Nous en avions déjà eu un aperçu à Woodstower l'été dernier mais Zaho est déjà chez elle sur scène (Il faut dire qu’elle en a écumé ces derniers mois !).
Que ce soit en piano-voix douce et profonde, sur des tonalités graves ou haut perché, son chant subjugue, berce ou émeut. La mélancolie de Les Dormantes, Langages ou Dis-moi que tu m’aimes, la puissance de La fontaine de sang ou Tristesse et la folie de Mon inconnu ou Ne te regarde pas nous embarquent et ne nous lâchent plus jusqu’au bout. Le public découvre également sa nouvelle composition : Le dernier des voyages… Zaho a le chic pour nous fait rire, entre deux chansons, nous émouvoir par son interprétation et nous permettre de lâcher les chevaux et danser avec elle jusqu’à l’épuisement.
La symphonie des éclairs est évidemment un moment suspendu et savouré par le public : une petite pépite pour tous les hypersensibles, peut-être nombreux dans les gradins. Zaho de Sagazan fend la foule, monte les marches, et chante au plus près des spectateurs pour leur plus grand bonheur. Elle nous offre là une reprise de Brigitte Fontaine. Le petit grain d’étrangeté et de liberté de cette chanteuse semble si bien lui aller. Entourée par 4 musiciens (2 auparavant), Zaho est rayonnante et survitaminée et elle mérite bien l’amour que lui porte le public et plus si affinité ...
Photo : nuitsdefourviere.com - Matthis Vandermeulen
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ça s'en va et ça revient
Véritable tour de force pour le concert de Justice au Nuits de Fourvière ! Le son ? Très fort ! Le jeu de luminaires ? Trop fort ! Le set ? Un mix continu d'une bonne partie de leur répertoire, faisant la part belle aux futurs et anciens tubes...Beaucoup de superlatifs donc et beaucoup de monde aussi. La fosse et les gradins pleins à craquer, peu d'espace donc pour danser ou s'exprimer. Le phénomène Justice écrase tout sur son passage laissant les fans de la première heure conquis par tant de rythmes assommants ou assourdissants, mais aussi et surtout, il faut le dire, entêtants. La tête ne peut en effet qu'opiner par ces montées savamment orchestrées mais la transe induite n'est souvent qu'éphémère et retombe avant de repartir, comme des saynètes consécutives. Il manquait peut être un scénario à ce déluge de notes et de néons amenant les ambiances, une trame narrative en crescendo pour emmener le public hors de son univers cérébral. A l'aune de son superbe dernier album Hyperdrama, parfait de maîtrise entre tension et relâchement, le spectacle proposé par les deux membres de Justice ne nous laisse presque aucun répit et joue continuellement avec notre attention. Même les titres nouveaux sont réarrangés, remixés avec d'anciens, montrant par là une capacité à se renouveler sans cesse.
Au milieu de toutes ces machines et avec deux artistes stoïques face à face, la chaleur humaine était néanmoins bien présente dans l'arène où la ferveur collective battait son plein. C'est peut être d'ailleurs cela la magie de Justice : une joyeuse communion autour d'une musique qui réveille, en les heurtant, les corps. -
Quatre un
On connaissait déjà les qualités vocales de Camélia Jordana, Jeanne Added ou Sandra Nkaké. Celle de L-Raphaële Lannardère, l'instigatrice du projet Protest Songs il y a quelques années, se révèle évidente pour un mariage tout en douceur et rondeur, a cappella avec ses consœurs.
Quatre silhouettes capuchées et de dos investissent le parterre de la petite arène du Festival des nuits de Fourvière bondée (deux autres concerts sont prévus à Paris et Bordeaux). On essaie de deviner les formes et le grain de voix mais cette singularité est compliquée. Puis les visages se dévoilent, les corps se mettent en mouvement (mise en scène de Phia Ménard), en cercle parfois ou alignés. Textes et chants de lutte ou d'espérance s'enchaînent, parfois repris en chœur par le public à l'unisson. En partenariat avec SOS Méditerranée et juste après les résultats des élections européennes, l'événement prend tout son sens et on comprend ce qui nous unit dans notre disparité : le partage de ce sentiment de fraternité. Beauté des voix, harmonies parfaites, les 4 tessitures se modulent tels les instruments d'un quatuor. We shall overcome sera repris en bis et, pour l'histoire, de Lyon ce soir là partit un vent de confiance et de force tempérée, vers un monde toujours plus écorché, un instant suspendu, une prière collective. -
Totale osmose
Le bal de l'amour s'est deroulé au Musée des confluences jeudi 6 Juin 2024, une soirée estampillée Nuits de Fourvière. Au programme 3 formations scéniques. La première, plus contemplative et indoor célébrait l'amour spirituel via une danseuse hindoue (sud) qu'accompagnaient 3 musiciens (violon, flûte et mridangam) et un chanteur traditionnel. Les mouvements précis et semi-improvisés étaient scandés à l'unisson par le quatuor aligné en tailleur. La seconde formation, Ultrabal, officia sur le patio extérieur du musée. Dans l'esprit guinguette modernisé, 4 musiciens dont un accordéoniste magnifiait un trio de chanteuses hautes en couleur. Le(s) public(s) bigarré et de tous âges (peut être l'élément le plus important ?) qui avait répondu présent pour ce manifeste commençait à sérieusement se déhancher puis à se lacher complètement pour le dernier set de Scorpio Queen, à la fois DJ et ambianceuse, accompagnée de deux danseuses déchainées sur des rythmes caribéens.
La femme fût donc à l'honneur tout du long dans une ambiance empreinte de douceur et de suavité. Cette nocturne de Confluences (jusque 22h le 1er jeudi du mois) passiona aussi la jeunesse qui investit, entre autre, la très réussie et ludico-pédagogique exposition à nos amours. Éternel amour donc, présent sous toutes ses formes, couleurs et variétés, qui se concentra ce soir là dans un vaisseau de verre tout de feux et de flammes éclairés.
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Transe lumineuse
À la Comédie de Saint Étienne, hier, le public, regarde la scène mais les danseurs et danseuses sont assis parmi eux. Le Grand bal, créé et chorégraphié par Souhail Marchiche et Mehdi Meghari – Compagnie Dyptik - démarre. Quelques points lumineux apparaissent dans les rangs et les regards se tournent vers les corps, auparavant voisins et maintenant danseurs. Vers le plateau ou à travers la salle, les spectateurs tournent la tête dans tous les sens pour tout percevoir. Le mouvement est partout. Déjà. Chaque interprète « pulse » et impulse son rythme puis, petit à petit rejoint celui des autres. Ils et elles se contractent, se tordent, ouvrent grand la bouche comme pour chanter un air d’opéra puis rient aux éclats et s’étirent à nouveau. Plusieurs danseurs convergent, qui en sautant par dessus les fauteuils, qui en se faufilant parmi le public, pour exécuter une partition millimétrée à quelques centimètres des fauteuils et de leurs occupants. À chaque artiste sa prestation, l’un semble un feu follet, l’autre, un contorsionniste, le troisième se transforme en pile électrique puis tous se rassemblent sur scène.
La lumière, comme dans un tableau du Caravage, le décor : un miroir au sol, un cercle, une rosace ou bien un attrape-rêve en hauteur, le public décidera. La musique est lancinante, puis puissante, soudain explosive mais toujours accompagnée d’une ritournelle entêtante, enveloppante. La danse, non les danses, sont tour à tour sensuelles ou saccadées, solitaires ou collectives. Du classique, du contemporain, du hip-hop, du salon, du cirque, de la techno, tout se mélange, fusionne et s’harmonise pour former une transe où le public s’immerge malgré lui. Telle la danse de Saint Guy, les spectateurs pourraient à leur tour se lever et se laisser « transcender ». En effet, difficile de ne pas dodeliner de la tête ou laisser sa jambe s’échapper. La ritournelle fredonnée ou murmurée par un danseur revient, résonne, se transmet au public. Le cœur s’emballe, pas seulement celui des interprètes , para mi, para ti* ; c’est lui qui donne le tempo et une fièvre nous transporte, une heure durant en un lugar* appelé : Le Grand bal !
* pour moi, pour toi (extrait de la ritournelle)
* dans un lieu (extrait de la ritournelle)
Photo 1: Crédit photo : La Comédie de St Etienne - Romain Tissot
Photo 2 : Crédit photo : La Comédie de Saint Etienne - Cie Diptik