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Choeur - Page 57

  • Un Biolay électrisant

     

    bio.jpg

    Voix rauque, groupe rock pour les retrouvailles de Benjamin Biolay avec Lyon, sur le roc de Fourvière.
    Le cœur était de mise en ce mercredi 7 Juillet avec une arène quasi pleine venue pour enfin retrouver l'enfant du pays. Ce dernier a déroulé un set dédié en grande partie à son dernier album taillé pour la route (titre qu'il n'a pas chanté) avec aussi quelques incartades de "Palermo Hollywood" (le chaloupé "miss miss" ou le galvanisant "Palermo Hollywood"), une part belle à La superbe ("La superbe", "Lyon presqu'île" forcément acclamée, "ton héritage" qui touche toujours en plein cœur ou encore le slamé "Padam") et trois covers (H. Mounier - "voyager léger", E. Daho - "Duel au soleil" et les Strokes - "Ode to the mets" francisé).
    Adé l'a rejoint pour le tube pop "Parc fermé" et constitue avec La Féline en douce première partie, les seules apparitions féminines de la soirée.
    Heureux de retrouver sa ville natale et son public fidèle, B.B s'est appuyé sur son solide et expérimenté quatuor scénique (guitare - Pierre Jaconelli, basse - Philippe Almosnino, batterie - Philippe Entressangle, synthé - Johan Dalgaard) pour puiser dans son répertoire éclectique, une large palette émotionnelle, alternant chansons pop et rythmes cubains, chansons rock et ballades bien senties.
    Public heureux et conquis par certains rythmes dansants, des références à la ville-lumière et des refrains entêtants, surement souvent entendus pendant l'année de tous les confinements, comme "une voiture volée" scandée en chœur avant deux courts rappels (timing obligé).
    Tout était au rendez-vous pour un spectacle total son et lumières qui fut de qualité : un temps clément, le pass sanitaire pour tous, le bon timing et surtout un album "Grand prix" de haute volée, dont on mesure sur scène la pertinence, la force et l'à propos.
    L'artiste fut comme s'il retrouvait ses 20 ans, gambadant et porté par un mur en chœur ravi. Un succès mérité pour ce virtuose de la composition un peu à part, ce "garçon bizarre" aux éclats de génie. 

    @crédit photo : Nuits de Fourvère

  • Se réapproprier le féminin mythique

    "Les antécédents des romances médiévales populaires sont plus larges que concentrés autour de l'individu et de sa guérison possible. Ils parlent d'un monde dans lequel la puissance et la sagesse féminine ont été perdues, dans lequel la nature a été violée et les trésors de l'Autre Monde ont été pillés, un monde devenu une Malterre. La quête du Graal, le principe féminin, la donneuse et gardienne de vie, n'est pas simplement une quête pour nous restaurer personnellement, c'est une quête pour restaurer le monde". (p.319).

     

    femmes 1.jpgDans "Femmes enracinées-femmes qui s'élèvent" de Sharon Blakie, publié chez Véga-Trédaniel, le constat est amer mais la solution est amour, comme toujours.
    La planète agonise, les hommes et leur quête héroïque ont accéléré le processus de destruction, le statut inférieur des femmes est une des causes du désenchantement du monde...et l'autrice projette de donner des clés pour que le féminin refleurisse et ensemence fertilement la planète, pour ce qui peut encore être sauvé.
    Sur près de 500 pages s'entremêlent son vécu, ses rencontres avec des femmes fortes et inspirantes et quelques histoires et légendes celtes mythiques, dans une forme de psychologie narrative. On pense à des pionnières du genre comme Clarissa Pinkola Estès ou Marie-Louise Von Franz mais Sharon Blackie veut pousser plus loin le curseur de l'explication archétypale rationnelle classique, en convoquant le mystère irrationnel de la pleine incarnation charnelle et sensation-elle. Elle questionne les terres habitées ou visitées en se rapprochant des éléments  (saisons, paysages, folklore, mythes et légendes...) pour retrouver le sens profond et la magie de la connaissance intuitive ou "iomas" qui provient de l'Autre monde, l'imaginal évoqué par H. Corbin, la hiérohistoire éternellement présente dans l'instant, l'esprit hors espace-temps.
    A la différence pourtant d'un Joseph Campbell et de sa "quête du héros", Sharon Blackie propose un parcours résolument féminin, non calqué sur celui de l'homme, car ce parcours rend la femme amnésique de ses valeurs, de ses atouts (son corps  et sa matrice plus que sa tête et son mental) et de son rôle depuis toujours dévolu de sage, gardienne et protectrice de la Terre, bien avant que les religions et leur Dieu ne vienne compliquer les choses et spolier leur génie (La "Malterre").
    Dans ses conclusions cependant, même si une forme d'animisme est préférée au monothéisme "masculin", l'autrice évoque un sain courroux, une miséricorde matricielle envers créatures et création ou encore une forme de co-naissance intuitive, proche du verbe insufflé, autant de preuves que le Dieu des textes sacrés est autant et c'est dommage, méconnu sous son aspect féminin et universel.
    Faire œuvre féminine c'est donc se réapproprier sa souveraineté et son énergie bien souvent accaparées. C'est aussi descendre en corps et creuser les souvenirs du cœur jusqu'aux instants d'un pacte contre (sa) nature pour survivre dans un monde apparaissant parfois comme inhospitalier. C'est enfin s'ancrer où les pieds portent et en ce centre si typiquement féminin des matrices pour à nouveau rayonner de soi. Autant de chemins que de prises de consciences, autant de jalons que de retours à l'enfance.
    Le récit est plaisant et enchanteur. Le style coule de source alternant moments intimistes et coups de projecteurs sur une altérité nourrissante et riche en créativité.
    La selkie, Cerydwen, Rihanon  n'auront plus de secrets pour vous, vous saurez ce qu'est une Elder, une "Cailleach" ou la "bean feasa" en vous plongeant dans ce livre fleuve qui se lit comme un bon roman, avec cette idée que la descente en soi, le désencombrement de ce qui ne nous appartient pas ou plus, la quête du centre dans un corps souvent égocentré, permet de s'alléger et de s'élever spirituellement et moralement, afin de ne pas passer à côté de sa vie...et retrouver ce qui sourd comme potentiel intérieur trop souvent méprisé, occulté ou jalousé.

     

    "La femme sage est l'héroïne, de retour de voyage, ancrée enfin dans sa souveraineté intérieure et dans la Terre où elle vit. Elle est prête à offrir son savoir et ses cadeaux à la communauté" (p.374).

     

  • L'Amour , notre destinée

     

    Petit entretien écrit avec Pierre Trigano, qui vient éclairer quelques passages de son dernier livre "Des sexes et des genres, des amantes et des amants" paru chez Réel Editions.

     

    *Votre réflexion mûrie d'un travail sur l'inconscient marque profondément le sujet conscient avec le temps : il s'agit ici d'évoquer l'existence d'un virus actif dans la psyché et transmis depuis des siècles... A qui d'ailleurs imputer la responsabilité de cette “souffrance immémoriale des femmes” ? L'homme doit-il s'amender ?

    Dans l’inconscient collectif de l’humanité se condense toute son histoire depuis les origines et nous naissons déterminé-e-s par celle-ci à la naissance sans en être conscients. Cette histoire résonne de ce que j’ai appelé la souffrance immémoriale des femmes, et cette histoire est déjà préformée par nos ancêtres préhumains primates, totalement marqués par la compétition entre les mâles, la maltraitance exercée sur les femelles, et la guerre systématique entre les clans. On ne peut pas dire que les hommes d’aujourd’hui sont a priori coupables de cette situation car ils ne font qu’en hériter mais ils sont fondamentalement responsables pour en prendre conscience et changer cette histoire en s’ouvrant à leur féminité intérieure, à remettre en question le règne du masculin unilatéral pour vivre une relation harmonieuse entre masculin et féminin, qui est amour. Les hommes, mais bien sûr les femmes aussi sont appelés à ce grand rendez-vous et reçoivent une interpellation que nous pouvons lire dans leurs rêves nocturnes. L’enjeu pour l’avenir de l’humanité sur cette terre est qu’ils acceptent d’entendre l’interpellation.

    *C'est souvent après coup que l'on sent que l'archétype genré était présent dans un échange. Comment se manifeste t'il concrètement ? Quand sait-on que l'on a affaire avec l'animus ou l'anima ?

    Il faut comprendre que l’animus dans l’inconscient des femmes est comme un homme et que l’anima dans l’inconscient des hommes est comme une femme. En tant que masculin, l’animus est puissance d’affirmation, pensées, principes, logos. Le problème est qu’en tant qu’il est un archétype de l’inconscient collectif, c’est une énergie collective, trans historique, transgénérationnelle. Il n’est donc pas au commencement de la vie d’une femme sa puissance d’affirmation personnelle et il ne fait que l’enfermer ou la réduire aux stéréotypes et aux rôles qui se sont condensés dans l’histoire de sa famille et de sa société, l’enfermer dans des attitudes de soumission ou au contraire de colère et de meurtrissure de toutes sortes, en inflation ou en déflation.

    L’anima, en tant que féminin, relève du domaine de l’affect, de l’humeur, du sentiment, de l’éros, de l’intériorité. Mais, tout comme pour l’animus, elle est une énergie inconsciente collective, transhistorique, transgénérationnelle. Dès lors, au commencement de la vie d’un homme, cette énergie ne lui est pas personnelle et ne se manifeste pas pour son épanouissement mais en étant conforme aux rôles qui se sont condensés dans l’histoire de sa famille et de sa société. Elle peut prendre la forme d’un éros aliéné, dysfonctionnel, dans sa vie, qui le détourne sous mille et une formes possibles (allant de l’inflation à la déflation) du véritable amour.

    Je me souviens d’un film d’il y a quelques années qui s’intitule, si je me souviens bien « La dispute ». Pas vraiment un très bon film, mais très intéressant pour donner un exemple vivant. Ce film montre d’abord un couple qui s’est constitué par amour et qui s’aime vraiment. Un soir, ils reçoivent à diner toute la famille de la femme. Une fois celle-ci partie, l’homme saute impulsivement sur la femme et lui dit « chérie, viens allons faire l’amour ! ». Mais la femme, tout aussi impulsivement, le repousse en lui disant : « non ! Fais la vaisselle d’abord ! ». Cette opposition de points de vue va dégénérer au long du film en une dispute terrible sur plusieurs jours qui va détruire leur couple, alors qu’ils s’aiment vraiment. On reconnait dans cet affrontement un duel meurtrier entre l’anima de l’homme qui est impulsivement éros et l’animus de la femme qui est impulsivement position de principe abstraite et donc logos. Les deux, anima et animus, ne sont pas dans cette histoire des expressions personnelles de leur amour, mais comme des dieux au-dessus de leurs têtes qui les manipulent et n’ont que faire de leur bonheur réel. L’anima, ici n’est pas l’expression personnelle de l’éros de l’homme et l’animus, l’expression personnelle du logos de la femme, mais des énergies de l’inconscient collectif façonnées dans l’histoire qui les ignorent impitoyablement en tant qu’individus.

     

    *Chaque genre (hétéro, homo, trans) porte en sa psyché un archétype du genre opposé avec lequel, à terme, il est juste et bon de s'unir (mariage symbolique) pour mener une vie harmonieuse. Le poids de cette souffrance semble être la même pour tous et partagée entre tous, une souffrance mémorielle de l'humanité en quelques sorte ?

    Tout être humain, quelle que soit sa condition sexuelle, est traversé dans sa psyché par ce que j’appelle « une pulsion de mariage intérieur » et que Jung appelle le Soi. Cette pulsion travaille dans l’inconscient à la confrontation entre le moi de la femme et son animus et le moi de l’homme et son anima. L’enjeu de ce travail intérieur est que les deux pôles conscient et inconscient se rencontrent, se reconnaissent et se transforment jusqu’à s’aimer et devenir des amants intérieurs de telle sorte que se réalise l’individuation, l’unité de l’être, son ouverture à l’amour. Pour les trans la modalité semble différente, je l’étudie dans mon livre avec un exemple de rêve à l’appui mais en réalité, c’est toujours cette ouverture à l’amour qui se cherche.

    L’enjeu est que anima et animus ne soient plus dans la psyché d’un individu des « dieux » étrangers et indifférenciés mais deviennent des manifestations personnelles de leur être réel, les ouvrant à l’amour. On cultive et renforce le travail de cette pulsion du mariage intérieur dans une psychanalyse centrée sur les rêves, en suivant le chemin initiatique qui se déroule pour l’analysant de rêve travaillé en rêve travaillé. Ce qui se découvre au cours de ce cheminement, c’est la souffrance immémoriale des femmes, la souffrance de la féminité, qui s’est condensée au cours de l’histoire humaine, et qui affecte aussi bien les femmes, les hommes, leurs animus et anima. L’enjeu d’une telle psychanalyse est de favoriser dans leur vie l’arrivée de synchronicités positives ouvrant à l’amour, pas seulement sous la forme d’un couple, mais aussi comme amour de la vie, réconciliation amoureuse avec la vie, quel que soit l’âge du sujet.

     


    *L'essence du Soi est féminin dites-vous. Il nous veut en relation (Intérieure ou extérieure), l'inverse du repli sur soi en fin de compte ?

    C’est le rêve étonnant d’une contemporaine, que je relate dans mon livre, qui présente le Soi comme féminin. Il délivre un enseignement qui nous montre que le Soi désire aujourd’hui se faire reconnaitre centralement comme féminin, d’abord pour relever la féminité depuis si longtemps marginalisée, mais aussi parce que l’archétype féminin est précisément l’archétype de la relation, de l’ouverture à l’altérité, de l’union. Or, c’est précisément l’union harmonieuse entre le masculin et le féminin que vise le Soi. Ce qui nous permet de comprendre que forcément, cette union est d’essence de féminine, de même que sur le plan concret de la sexualité, l’union du sexe masculin et du sexe féminin se fait dans le sexe féminin.

    *Que nous dit ce nouveau symbole du Soi sur le dieu monothéiste ? A t'on occulté Sa part de féminin (qualités, valeurs) ? Plus, son essence est-elle féminine ? On peut même se poser la question du creuset du Verbe, de son origine symbolique ?

    Dans la spiritualité biblique, le Verbe, c’est le Saint Esprit, et le mot « esprit » en hébreu, rouah’, est féminin. Et pour les premiers chrétiens, le Saint Esprit était féminin. Ce n’est qu’au 4eme siècle après Jésus-Christ que l’Eglise a décrété que le Saint Esprit était masculin ! D’autre part, Jésus appelait Dieu abbah. Je démontre dans mes livres précédents que c’est un mot féminin, un Père divin féminin, centré sur l’amour

    *Comment panser le féminin blessé ? Le verbe ou l'Intellect y est-il pour quelque chose ? Quid des autres centres (sensation, intuition ou sentiment) ? Peuvent ou doivent-ils participer à la guérison ?

    Toutes les fonctions psychologiques interviennent bien sûr dans ce grand-œuvre du mariage intérieur qui réunit en harmonisation toute la psyché humaine. Mais est-ce que vraiment le but est de « panser » le féminin blessé ? Je crois plutôt qu’ils se « panse » lui-même lorsque l’on devient conscient que la féminité n’est pas « une pauvre petite chose » toute faible, qui aurait toujours besoin d’un masculin fort « de gros bras », mais qu’elle est ce qui fait qu’un être humain est réellement humain, dans la mesure même ou la caractéristique de l’être humain dans la nature est précisément sa capacité à s’ouvrir à l’altérité, ouverture féminine par essence.

     

  • Les dialogues avec l'Ange

    Coran 35,28. Il y a pareillement des couleurs différentes, parmi les hommes, les animaux et les bestiaux. Parmi Ses serviteurs, seuls les savants craignent Allah. Allah est, certes, Puissant et Pardonneur.

     

    jambet.jpgLes élus de Dieu sont de tout temps, éternels, exemples vivants d'une relation inspirée à Dieu. Une intelligence commune ou lumière de l'esprit, accompagne ces témoins de vérité pour un discernement au-delà des apparences, pouvant aller jusqu'à "la révélation de l'intériorité diversifiée des êtres humains"(p.228), ce qui constitue en soi un événement eschatologique.
    Dans "Le philosophe et son guide - Mullâ Sadrâ et la religion philosophique" paru chez Gallimard, Christian Jambet se fait à nouveau l'herméneute du philosophe shiite (1571-1641) dans sa conception élogieuse et rehaussée du savant qui vient après les prophètes et les Imams duodécimains (qui sont les preuves de Dieu selon Mohammad-Ali Amir Moezzi) mais dont l'existence est caution jusqu'à la fin des temps.
    Le savant ou philosophe (en référence au néoplatonisme hellénistique) n'a de cesse de perfectionner son intellect, la fine pointe de l'âme, en vue de percevoir le Réel (ou dévoilement de l'essence) conformément à l’œil divin. Cette illumination du "cœur spirituel" le place de facto dans la "vie dernière" ou vie véritable, évoquée dans le Coran comme étant destinée aux rapprochés de Dieu, puisqu'il s'agit d'un effacement (de progressif à définitif) de la personne au profit du Messager intérieur (l'Autre en soi, le double lumineux) qui est Présence.
    Mullâ Sadrâ fustige les tenants de la religion exotérique, essentiellement des juristes, qui ne s'intéressent qu'au monde d'ici-bas et à la perpétuation de l'ignorance, contrairement au contenu de la gnose composé de connaissances théologiques, psychologiques ou eschatologiques, qui sont la base d'un juste discernement. Les fidèles de son époque, ritualistes et littéralistes sont pour lui les ennemis véritables de la religion, qu'il définit par "l'ensemble des savoirs ésotériques directement inspirés par Dieu" (p.291).

    On le perçoit, l'Islam politique et conquérant récent a tout d'une hérésie aux yeux du philosophe platonicien, pour qui "en sa perspective eschatologique, l'ici-bas se révèle pour ce qu'il est, le miroir inversé de l'ordre réel"(p.242)...
    Christian Jambet fait œuvre de traducteur et d'exégète (alternant le dense et l'ardu avec le limpide et les fulgurances) du philosophe dont la réflexion et les conclusions apparaissent plus que jamais contemporaines. Les savants ou exégètes spirituels de la Parole inspirée, passés ou présents constituent bien des jalons essentiels à la révélation ésotérique du message. Dans un souci d'élévation (perfectionnement moral) et de rapprochement du chœur divin, ils essentialisent la connaissance jusqu'à tendre a l'objectivité de leur science, un moyen pour tous de se repérer et progresser encore, en ces temps troubles mais passionnants.


    "Par ses alliances comme par ses effets politiques, la religion du savant eschatologique s'est transformée en une religion de ce monde , réduisant progressivement à peu de choses le pouvoir des authentiques tenants de la voie spirituelle comme celui des esprits animés de volonté messianique, tout cela par la toute puissance de l’État" (p.337).

     

  • Au delà des noix de Coco

    Corentino, Benjamin Lesage, Editions courtes et longues, mai 2021, Colombie, immigration, noix de coco« Il me racontait comment il était venu ici, il avait parcouru toutes les Caraïbes, toutes, toutes les ïles, tu sais combien d’îles il y a dans les Caraïbes ? Il me disait. Je disais non, bien sûr. Sept mille il disait, et tu sais combien de plages, de criques comme celle-là ? Je disais non encore. Des millions il disait, des millions de criques, et parmi toutes, c’est celle-là que j’ai choisie ».

    Après les étoiles qui meurent dans le ciel, c’est le nouveau roman de Benjamin Lesage aux Éditions courtes et longues : Corentino.

    Il ne veut pas fuir la guerre, ni des trafiquants. Corentino n’est pas seul au monde, ne travaille pas dans des mines et n’est pas exploité par la mafia. Pourtant, il veut partir, découvrir le monde et surtout Paris d’où est originaire son grand-père. Le jeune Colombien rêve d’autre chose que ses arbres à noix de coco à perte de vue dans lesquels il grimpe pour rapporter de l’argent à sa famille. Celle-là même qui a fondé cette exploitation de cocotiers. Cette idée vient de son grand-père, toujours lui. S’il a réussi à venir jusqu’en Colombie, à s’installer et a fonder Milcoco sur une large plage déserte, pourquoi son petit-fils ne pourrait pas faire de même ? Le chemin inverse en somme. Sauf qu’ici les gamins savent tous qu’ils reprendront le travail de leur père, y'a pas à discuter. Et avec le padre de Corentino, encore moins la peine d’en parler. D’ailleurs ils ne communiquent pas ou presque.

    « Le père ravale ses mots, son visage s’est fermé, ses joues flasques se sont tendues, ses mains sont fermement accrochées au volant. Corentino se penche par la fenêtre, il regarde les voitures qui circulent lentement sur l’avenue surchargée, les fondas sur le bord de la route, les talacherias avec des dizaines de pneus entassés devant les portes, […] Au loin les tours de Carthagène, ils arriveront bientôt ».

    L’adolescent nous entraîne dans son histoire insensée. Un roman prenant pour les lecteurs qui doivent se dire : Quelle imagination de la part de l’auteur. Oui et non puisque Benjamin Lesage s’inspire d’une histoire vraie, et ça paraît encore plus incroyable ! N’attendez pas de révélation dans cette chronique sur ce que va vivre Corentino et de quelle manière ceci est arrivé jusqu’aux oreilles de l’auteur. Allez, laissez-vous glisser dans le quotidien de Milcoco, pas loin de Carthagène en Colombie. Benjamin Lesage lève le voile sur un pays peu décrit dans les romans ados. De même, il n’ est pas question des FARCS ou d’histoire de drogue qui colle généralement à la peau de la Colombie. Quand au parcours d’émigration, il est assez inhabituel et évite les clichés du genre tout en montrant l’envers du décor.

    A la fin du roman, on a juste envie de connaître la suite, de discuter avec Corentino autour d’un bon jus de coco … ou pas !

    Image: Editions courtes et longues

  • Un oasis plus vrai que nature

     

    READY_PLAYER_TWO_poster.pngWade et ses amis sont de retour pour une nouvelle aventure romanesque aussi haletante mais plus riche, complexe et contraignante dans ce "Ready player two" imaginé par le très entouré Ernest Cline et paru chez Michel Lafon.
    Auréolé de son succès planétaire avec le carton du premier tome et son adaptation cinématographique signée Steven Spielberg, il démontre avec brio par cette digne suite réussie qu'il n'a rien perdu de sa créativité narrative.
    La lecture s'apparente à une connexion matricielle virtuelle et visuelle à l'Oasis mais donne aussi accès au monde organique fou, fantasque et délirant auquel Ernest Cline est relié.
    Wade WATTS, son alter ego, est désormais riche et célèbre. Il a non seulement hérité de la fortune, maison et empire de James Halliday en résolvant l'énigme de l'Oasis (une plateforme d'edutainment virtuelle mondiale) mais il a surtout décidé avec ses acolytes associés (Shoto, Aech, Art3mis), de commercialiser le premier casque immersif (première interface cerveau-ordinateur non invasive) légué et conçu par Halliday avant sa mort.
    L'humanité est plongée depuis en majorité dans ce monde plus vrai des avatars et de la réalité augmentée, au sein duquel une nouvelle quête occupe le temps, retrouver les 7 fragments de l'âme de la muse d'Oasis, Kira, femme du meilleur ami du créateur (Og), en vue de ressusciter son esprit digital. Une contrainte temporelle s'ajoute à cette nouvelle quête quand l'IA d'Halliday, Anorak, menace d'exterminer les gamers si on ne lui restitue pas ces fragments à temps.
    L'auteur propose une exploration totale et déjantée, sur fond d'énigmes à déjouer, de sept mondes inspirés de la pop culture geek d'avant le 21eme siècle où tout est enregistré avec netteté, précision (souci du détail), émerveillement et profond respect. On passe d'un jeu vidéo vintage à l'univers mythique de Prince (le paradis des fans, très drôle) en survolant la culture télé éducative des années 80, l'univers de Tolkien ou le cinéma de John Hugues (la folle journée de Ferris bueller, maman j'ai raté l'avion...).
    Le roman pèse le danger et les atouts de la technologie numérique : le casque ONI s'il permet de se mettre et de vivre une expérience sensorielle totale dans la peau d'autrui (le corps physique peut "hiberner" 12 heures au maximum avant séquelles) souffre de failles sécuritaires et peut mettre en danger mortel ses millions d'utilisateurs. De même pour l'intelligence artificielle qui peut rendre un esprit éternel (souvenirs, caractère, aspect physique...) et augmenté mais aussi provoquer sa rébellion comme l'ont dénoncé de.nombreux films de SF.
    Cette idée d'un monde parallèle subtile et aux ressources infinies rejoint celui commun à toute métaphysique où l'esprit flirte avec l'immortalité. Ce temps et ce monde est celui de l'éternel présent où tout est possible, vivant, connecté. Pour retrouver son âme de guerrier intrépide et séduisant ainsi que son esprit enfantin, curieux de tout et intuitif, il est bon de trouver et de se connecter à la Source, qui de tout temps aura fait couler beaucoup d'encre et dont Ernest Cline connait apparemment le chemin.

     

  • Entre montagnes et sirènes

    ce qu'il y a entre le ciel et les montagnes,jean-charles berthier,actes sud junior,avril 2021,orques,résidentes du sud,nomadland,chloé zhao« C’est vrai qu’on riait plus fort qu’eux, parfois. Je savais qu’ils parlaient de nous entre eux, qu’ils nous trouvaient bizarres. Qu’ils se rassurent, eux aussi étaient bizarres pour moi. D’après Maman, chacun d’entre nous est le bizarre de quelqu’un  ».

    Partir à l’autre bout du pays, en famille, Grand-père compris, avec les montagnes puis l’océan pour horizon, sans contrainte de temps (ou presque) à respecter, sacrément gonflé voir frustrant en ces temps de pandémie. À moins que l’auteur ait eu l’idée de cette épopée en Wesfalia en rêvant de grands espaces. Jean-Charles Berthier a réussi son coup puisque rien que le titre Ce qu’il y a entre le ciel et les montagnes, chez Actes Sud junior, donne déjà envie d’aller s’aérer la tête, de plonger dans un lac revigorant et de regarder les oiseaux passer au-dessus de nos têtes. Bon, sauf qu’il n’est pas vraiment question de volatile dans ce roman mais plutôt d’orques. Énormes mammifères marins noirs et blancs qui ont longtemps été des attractions dans des parcs aquatiques pas vraiment à leur taille. Ici, ces animaux sont à nouveaux libres mais sont-ils pour autant hors de danger ?

    « Les bassins étaient en place depuis pas mal d’années, mais y avait des gens pour dire que c’était pas juste. Qu’elles souffraient de rester ici, qu’elles partageaient avec nous des émotions que .. qu’nous autres on soupçonnait même pas ».

    Le voyage vers ces « monstres » ou « sirènes », ça dépend du point de vue, sert de prétexte à un rapprochement familial entre filles et mère, petite-fille et beau grand-père. Chacun fuit ou fait face à ses deuils, ses questionnements, ses rêves. Ellie, en pleine adolescence, s’interroge sur les gens autour d’elle et particulièrement son « Grandpa ». Lui cache-t-il des choses comme elle le fait elle-même avec sa petite sœur Tacha ? Pourquoi s’entend-t-elle mieux avec une fille qu’elle connaît à peine, à la vie si éloignée, qu’avec ses camarades de classe ? Le road trip modifie en profondeur les habitudes et croyances de cette équipée. Et c’est lorsque les personnages croisent des gens vivants toujours sur les routes, dont on n’entend jamais parler, que le roman fait écho au film Nomadland de Chloé Zhao (récompensé aux Oscars).

    « L‘un ou l’une, de temps en temps, se retournait pour surveiller les petits dans l’obscurité. Il y avait celui qui nourrissait le feu dès qu’il le réclamait, plus vite qu’on nourrit un bébé qui pleure. Car si le feu s’éteignait, quand il s’éteindrait, ce serait fini »

    Je ne peux vous en dire plus sans dévoiler les derniers rebondissements de l’aventure mais cela donne envie de réveiller l’ado fatigué qui sommeille en nous et de boucler ses valises pour … euh … le Canada peut-être … ou tout simplement l’océan Pacifique. Comment ça, c’est pas possible ? Heureusement, il reste tant de livres à parcourir pour découvrir le monde. Ce n’est certainement pas Jean-Charles Berthier qui dira le contraire.

    Image: Actes Sud Junior