Gaël Faye, faya faya fire !!!
Une mer de plastiques transparents, de l’eau qui dégouline, un ciel gris sombre. De quoi rebuter les spectateurs les plus frileux. Pourtant, le théâtre de Fourvière affiche complet. Peut-être le public sent-il déjà un changement dans l’atmosphère. Il ne viendra pas de la météo mais de l’arrivée fracassante de Gaël Faye sur scène, attendu. L’auteur de Petit pays (prix Goncourt des lycéens 2016 entre autres), ne vient pas parler littérature mais préfère délivrer son message par un rap lettré et feutré, accompagné par un pianiste/trompettiste et un beatmaker aux machines électroniques dignes de celles de Rencontre du troisième type.
C’est par le hip-hop que Gaël a commencé et c’est ainsi qu’il interpelle les spectateurs. Sa vision est tantôt joyeuse, optimiste, tantôt tourmentée, rageuse et ses mots toujours puissants et urgents. Gaël Faye, 36 ans, dont le papa est lyonnais d’origine, emporte la foule dès son deuxième morceau et danse avec elle naturellement. De la même manière il descend dans la fosse, discute avec les gens, visiblement ravi d’être ici, dans la ville où il a vécu. Alors que la pluie redouble et pourrait nous figer, Gaël Faye, autrement nommé Faya faya (par lui-même), met le feu au théâtre antique. Les ponchos transparents ondulent de la fosse jusqu’en haut des marches.
Le rappeur, né au Burundi d’une mère rwandaise, mélange les chansons de son EP Rythmes et botanique (2017) et son album Pili Pili sur un croissant au beurre (2013). Un album et demi au compteur donc mais un vécu de scène indéniable pour l’homme-oiseau à la dégaine d’un Stromae. C’est dans son premier opus qu’il évoque la fuite du pays lors du génocide des Tutsis au Rwanda. Ne vous y trompez pas, Gaël Faye sait aussi nous offrir un peu de légèreté avec Tropical ou Ma femme, titre égotrip qui conclut avec énergie le concert et chauffe la place pour les jumelles Ibeyi.
Ibeyi, planant et enraciné
Là où l’ancien gone réveille la foule dès les premiers instants, les deux sœurs prennent leurs temps. Moins expérimentées et seules sans trop de jeu de lumières, elles installent leur univers par vagues avec des images d’animations en fond de scène. Lisa-Kaindé et Naomi savent nous faire planer au-dessus du théâtre antique puis redescendre et faire vibrer nos pieds au rythme sourd de la terre. Leur musique est en effet un subtil mélange entre culture yoruba, soul, R&B mais aussi hip-hop. Avides d’échange, elles aiment faire chanter le public et insistent jusqu’à convaincre les plus réticents. Il faut dire que ces deux jeunes femmes ont de l’énergie et du cœur à donner. A leur image le titre Deathless (immortelles) aura laissé une empreinte indélébile sur les spectateurs, répété tel un mantra pour s’approprier la faveur de la foule un peu timide.
Les jumelles, d’origines vénézuéliennes et cubaines, chantent en anglais, espagnol et yoruba. À travers leurs chansons elles défendent les droits des femmes comme dans No Man is Big Enough For My Arms (sample d’un discours de Michelle Obama). Ibeyi ne résiste pas sur scène à évoquer Donald Trump et sa misogynie au grand bonheur du public (féminin ?) lyonnais. Elles restent dans la veine politique avec leur titre Transmission/Michaelion qui aborde des évènements racistes. Les deux chansons sont issues de leur deuxième album Ash sorti en 2017. Lisa-Kaindé (la bavarde plus introvertie de corps) et Naomi (la percussionniste qui tabasse la grosse boite à rythme) savent se faire plus douces avec une berceuse dédiée à leur nièce.
Seul petit bémol, leurs voix semblent plus aigües que dans leurs albums. Cela n’empêche pas le public de les suivre et de déployer petit à petit ses bras pour la fin du concert. La pluie s’est enfin arrêtée de tomber, il ne reste plus que les rigoles. Il est en temps d’aller à la rivière et Ibeyi nous y emmènent et terminent leur show sur Go to the river, le titre sur lequel elles se sont fait connaitre et leur plus grand succès. De quoi se dégourdir les jambes !
Comme lors du dernier concert de Feu Chatterton (à Fourvière), cette jeune génération d’artistes talentueux (Nekfeu, Eddy de Pretto, Jain aussi, présents au festival Parole et musique de Saint Etienne) montre un enthousiasme et une maturité impressionnante. Leurs chants est le triomphe de l’unité et de la singularité (seuls ou en groupe).
Photos: @Paul_Bourdrel