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éditions braquage

  • Savoir discerner

     

    J.D Beauvallet,interviews,éditions braquage,les inrockuptibles,Brigitte Giraud,Mai 2023Après Passeur, l'autobiographie de J.D Beauvallet, les éditions Braquage publient un copieux livre d'Interviews phares du journaliste des Inrocks avec 21 artistes de renom (Bowie, Björk, Morissey, Bono...) rencontrés entre 1989 et 2017. Ces derniers s'y livrent comme jamais, encouragés par la pertinence et la qualité des questions mais aussi par le respect ou l'admiration (secrète) que leur vouait le journaliste.
    Ces introspections fleuve (deux heures d'entretiens en moyenne), marque de fabrique du mensuel de l'époque, étaient un luxe et du pain béni pour les enfants du rock d'alors.
    Le temps permettait un portrait plus riche, plus réel et originel en esprit, de ces futures ou déjà stars et l'on comprend mieux pourquoi elles le sont devenues. Car Interviews, outre un manuel de questionnaire à l'adresse de musiciens-compositeurs actuels, est aussi un formidable recueil de réussites de déviants d'un système (on mesure d'autant mieux leur décalage avec l'industrie du disque) et un hymne à leurs saintes différences, celles de psychés originales qui accoucheront de créateurs de rêves.
    Sans cesse ramenés a leurs œuvres ou à leur jeunesse par J.D Beauvallet, les artistes interviewés dévoilent et se dévoilent parfois des pans obscurs, cachés ou peu explorés de leur personnalité, à l'origine d'une patte, d'un style, d'une trajectoire ou d'une vision musicale.
    Cette profonde faille originelle et la foi inébranlable en un destin hors du commun est toujours porteuse d'espoir et de créativité pour des générations de jeunes (ou moins jeunes) aficionados aux futurs parcours singuliers. L'auteur sut notamment inventer d'une passion, une belle carrière riche d'aventures.
    Savoir-faire journalistique, document socio-historique, mine d'informations artistiques, révélateur de mythes...l'ouvrage propose de multiples entrées mais aussi et surtout l'essence d'un savoir-être "inrockuptible", que parfait en préface La Goncourt Brigitte Giraud.

     

  • Le découvreur de pépite

    "J'ai appris la vie, l'amitié, la culture, avec des guides généreux. Grâces à elles, grâce à eux, j'ai détaillé. J'ai élargi mon pare-brise. Cela a été comme apprendre mille langues et dialectes, dont le seul but reste de disséquer la beauté du monde."


    J.D Beauvallet, le supplément d'âme des Inrockuptibles ("un magazine élégant, élitiste en bien, refusant l'entre-soi, privilégiant les grands entretiens"), nous livre ses mémoires à la fois linéaires et transversales dans Passeur, parues chez Braquage éditions. On revit avec joie l'époque flamboyante de la Brit pop (Il vécut à Liverpool et Manchester) et plus globalement du rock underground indépendant jusqu'à sa fusion avec les machines, la période "madchester" avec les Happy Mondays par exemple et dont les groupes actuels Radiohead ou LCD soudsystem sont le prolongement.
    Connu et apprécié pour ses longs entretiens dans le magazine originel, très travaillés et introspectifs, il participa avec d'autres collaborateurs de renom (Serge Kagansky, Christian Février, Emmanuel Tellier, Arnaud Vivian...), à stimuler des échanges, rassembler des passionnés, former l'oreille et ouvrir l'esprit à des mondes ou des univers raffinés, précieux, sensibles ou originaux. Cet enfant timide proche de la nature puis passionné de rock (Bowie et Lou Reed comme maîtres d'école) à l'adolescence, dévoua sa vie d'adulte hyperactive et besogneuse (il est aussi DJ à ses heures perdues) à l'aventure d'un magazine presque culte (de 1986 à 2019), ses transformations successives (de mensuel à hebdo puis son rachat par Pigasse) et sa diversification (organisation de concerts, compilation de Cd's, promoteur gastronomique...).
    En filigrane de cet ouvrage très structuré, concis et synthétique, se dessinent les dessous scabreux de l'industrie du disque, la vie d'artiste et ses concessions, la psyché souvent borderline de ces passeurs de sons adulés un temps et parfois victimes de tragiques destins (mort, solitude, échec, oubli...). C'est aussi le témoignage d'un enfant du rock sur le demi-siècle passé, ses enjeux, ses défis, ses excès mais aussi sa formidable mutation ou évolution (du rock au rap) avec une bande son à la fois électrique et éclectique.
    L'auteur, que l'on devine droit dans ses bottes (l'esprit rebelle et incorruptible) esquisse ici une voie pas forcément pure (le rock et son inspiration diabolique ?) mais vraie, dans ses fêlures et ses folies, pour discerner de cœur à cœur des personnalités attachantes, profondes ou inspirantes (Morrissey, Jeff Buckley, Miossec, Daho, Damon Albarn, Björk, Jarvis Cocker, Stone Roses...).
    Touche à tout, artiste et rêveur de sa vie, JD Beauvallet reste un "passeur" discret dont la présence et l'écriture révèle et sublime la beauté des êtres, au-delà de leur apparence sulfureuse.
    On comprend mieux l'esprit Inrockuptibles à la lecture de ces mémoires, en se disant qu'il a essaimé chez beaucoup de "mauvaises graines", ouverture d'esprit, goût de l'autre ou folie contrôlée.


    "Aujourd'hui, quand je veux être surpris, effrayé, dérouté, je ne me tourne que rarement vers le rock. Je trouve qu'il bave, qu'il radote, qu'il n'élargit plus son cadre : il semble impuissant. Pour le dynamitage des formats dont il était un génial artificier, je me tourne vers les productions du hip hop ou du R'n'B. Je suis passé d'une fascination pour les chansons à une passion pour le son...je reçois désormais souvent la musique par les viscères, les tripes...le hip hop m'a sauvé de l'ennui et de la nostalgie pour ce qu'il reste une matière vivante, évolutive."