Sa mort a tout changé...elle a fait de moi quelqu'un de mystique...au sens où j'ai éprouvé, au plus profond de moi, une implication intense dans la condition humaine, une conscience de notre vulnérabilité et le sentiment que chacun de nous, à titre individuel, est constamment menacé. (p.134)
Foi, espérance et carnage est un entretien fleuve (plus de 40 heures d'échange par téléphone traduit par Serge Chauvin) paru aux éditions la Table ronde, entre deux personnes amis de longue date et qui partagent le deuil d'un de leur proche, Sean O'Hagan (journaliste anglais) et Nick Cave (chanteur des Bad Seeds).
Le processus de création de trois albums de la rock star est évoqué et disséqué , Skeleton Tree, Carnage mais surtout Ghosteen, le 17eme album studio, hanté par la mort d'Arthur, son fils jumeau.
Cet album triste, crépusculaire et minimaliste tranche en effet véritablement avec toute l’œuvre de l'artiste australien, qui apparaît sensible et à fleur de peau, dans l'émotion juste.
Cette causerie est aussi l'occasion pour Nick Cave de s'y dévoiler comme jamais, s'appuyant sur sa mystique, sa femme Susie et la sollicitude de ses amis et fans (le site Red Hand Files où il leur répond directement) pour surmonter la terrible épreuve.
Les questions pertinentes, creusées et mûries de Sean O'Hagan lui permettent d'affiner sa posture et ses croyances sans jamais être à court d'anecdotes sur sa vie passée.
On le savait obnubilé depuis toujours par la bible et la figure du Christ (jusque dans l'Art) depuis l'évangile selon Nick Cave de A-L Cingualte mais sa transformation intérieure, sa conscience neuve (la fragilité de la vie et sa beauté/bonté malgré la souffrance) s'affiche effective en paroles et actes depuis ses trois derniers albums en collaboration avec Warren Ellis.
Visionnaire, psychopompe, prêcheur...relié donc et religieux dans sa pratique (prière, méditation, lectio divina...), le chanteur au passé tumultueux est devenu un être simple avec une vie bien rangée, qui évoque en filigrane l'absolution ou la rédemption depuis cette "prise du diable" (son fils Arthur). A la fois tout, quand il prend au sérieux son rôle d'élévation spirituelle par la musique, et rien (vide) quand il se retrouve seul et désemparé face à la feuille blanche, il touche à l'essence même de la création. Un livre profond, nécessaire, qui saurait peut être redonner sens aux nihilistes de tous bords.
L'un des moyens de me délivrer de mes démons...c'est de vivre une vie qui ait une valeur morale et religieuse, et d'essayer de considérer tous les autres, comme des êtres qui ont chacun une valeur précieuse...nos actes ont un sens, nous avons un sens (p.45)