Mais il faut bien comprendre alors que, si tout cela se réalise chaque fois qu'un saint de Dieu accepte sa vocation, cela l'engage dans un tout autre combat. Il y a le combat pour la justice, mais celui-ci est en réalité conditionné par un autre combat : celui que le saint doit mener contre lui-même. Car être saint, c'est être souffrant. Volontairement (p.680).
Pierre brute non retouchée, cette Ethique de la Sainteté, œuvre fleuve posthume de Jacques Ellul (911 pages écrites jusque mi 80) parue chez Labor et Fides alterne fulgurances et anecdotique, verbe et opinions, temporel et éternel.
Philosophe et sociologue notamment de l'ère technique, Jacques Ellul (1912-1994) fut aussi un chrétien (protestant) engagé dans son siècle. Son analyse de l'être sain, séparé de la masse mais présent au monde, incarnant discernement et vérité, apportant un regard miséricordieux sur chaque prochain, stimule l'ardeur du quêteur spirituel. Son ouverture en conclusion, aux valeurs féminines de la vie (plutôt que le mode survie de la jouissance masculine) pour sauver ce monde de l'asphyxie, incombant aux chrétiens conscients d'une lecture eschatologique de l'époque, rappelle l'image du Dieu-mère si chère à Maurice Zundel et qui fut clairement un saint du siècle dernier.
Même s'il convoque de nombreux philosophes/théologiens en paroles, c'est sa pensée qui séduit de prime abord, lorsqu'elle touche par l'intériorité et l'inspiration sainte. Une lecture parfois identitaire des deux testaments dessert par touches seulement cette éthique juste et originale de la sainteté moderne mais le brio de Jacques Ellul, son discernement christique, le surclasse dans l'exégèse biblique, particulièrement pour l'actualité cristalline de l'évangile.
Avec ce "pavé" déterré presque 40 ans après avoir été écrit, il œuvre, au ciel des fixes, à une prise de conscience salutaire d'une fin de cycle et ce qu'elle implique sur le plan étrique pour défier et dévier, avec la grâce du Dieu, le cours de l'histoire.