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  • Reflet acide

    Jean-Christophe Meurisse,Les Chiens de Navarre,la Vie est une Fête,festival les Nuits de Fourvière,théâtre de la Renaissance,Amélie Philippe,Delphine Baril,Lula Hugot,Charlotte Laemmel,Anthony Paliotti,Gaëtan Peau,Ivandros Serodios,Fred Tousch,Bernie,humour corrosif,dérives socio-politiques,faits de sociétés absurdes,vision poétique de l'humanité,Oullins 2022.

    Emmenée par Jean-Christophe Meurisse, la joyeuse troupe des Chiens de Navarre est venue bousculer nos sensibilités au théâtre de la Renaissance avec son dernier spectacle mis en scène pour le festival des Nuits de Fourvière : la vie est une fête !
    Humour corrosif, décapage des inepties et travers sociétaux au vitriol, faits d'actualité bruts recontextualisés pour en souligner la violence et la folie.
    Psychiatrie, médecine, police, entreprise High-tech, politique, New age, écologie...autant d'institutions et de courants grossis dans leurs traits et leurs incohérences contemporaines pour mieux déclencher un rire cathartique. A travers les personnages à l'histoire de vie cabossée, le metteur en scène veut montrer qu'”on ne souffre pas chacun que de Papa et Maman mais à cause de l'état du monde, du dérèglement de la civilisation”. Ainsi la femme de 45 ans qui ne correspond pas aux canons de beauté dictés par la société ou le cinquantenaire qui ne répond plus aux critères productivistes et très “sillicon valley” de son entreprise se retrouvent perdus. Leur égo, construction socio-culturelle, s'effondre du jour au lendemain comme vide de sens. Les comédiens y apportent le recul comique et empathique nécessaire.
    Bluffantes de réalisme, les scènes s'enchaînent en cadence avec verve et accessoires suggestifs truculents. La lignée des pairs défile de visu, proches (Blanche Gardin, Groland, Fabcaro, Charlie Hebdo) comme iconiques (Monty Python, Hara Kiri, Desproges, Coluche...), une écriture ciselée, crue et salvatrice en ces temps troubles où, petit rappel, les urgences psychiatriques se désemplissent pas.
    Blagues vachardes, réparties chiennes, chocs visuels...l'univers dérisoire et la vision chaotique de Jean-Christophe Meurisse touchent juste mais sont aussi et surtout empreints de poésie et de tendresse pour notre humanité ballottée par des vents contraires et impétueux, constatant que de chocs émotionnels peut advenir le meilleur et le réveil d'un attachement subtil à l'espèce, trop souvent anesthésié.
    Pour un spectateur, le sourire est présent tout au long du spectacle, pour un autre, les émotions évoluent entre rire franc, choc, parfois dégout ou larme à l’œil. Rien qui ne laisse indifférent : “ça dérange, ça réveille, bien sûr que je cherche à choquer” répond le fondateur des Chien de Navarre à une question du public. Pas de doute, c'est réussi et surtout nécessaire !

     

  • Le grand Mogodo

    M,Révalité,nuits de Fourvière,Gail Ann Dorsey,Corentin Pujol,Maxime Garoute,Fabrice Colombani,AUrus,Bastien Picot,Matthieu Chédid,Life on Mars,fête de la musique,21 Juin 2022

    Fête de la musique aux nuits de Fourvière : spectacle total ! M était de retour dans ce lieu (la dernière fois aux coté de Fatoumata Diawara et Sidiki Diabaté pour jouer Lamomali) avec un nouvel album, le septième et une nouvelle formation avec des musiciens amis (Maxime Garoute à la batterie, Fabrice Colombani aux percussions) ou chevronnés (Corentin Pujol aux claviers et la mythique Gail Ann Dorsey à la basse). La soirée était placée sous le symbole de l’œil omniscient et intuitif, totem et nom du groupe du réunionnais Bastien Picot (son groupe Aurus en référence au Dieu faucon) qui livre un set énergique, éthérique et tribal en première partie. Le public bienveillant lui fait un accueil toute voile dehors avant de célébrer le retour de l'enfant prodige.
    Une scénographie toute pourpre et à l'effigie de son nouveau logo laissait deviner un déroulement de
    Révalité mais seuls quatre titres sont joués, les hits Révalité, dans ta radio, le régressif Mogodo et la magnifique et mystérieuse ballade ce jour là. Pour le reste et l'essentiel du show, Matthieu Chedid revisite les titres phares de son répertoire, scandés en chœur par un public debout et résolu à passer une soirée inoubliable. Il faut dire que l'homme est un showman, habillé pour l'occasion et entouré d'un combo détonnant, le propulsant au sommet de son art, voix haute perchée et guitare héro.
    La part belle est partagée avec les musiciens qui reprennent à cœur joie des classiques (de la musique), des
    Daft punk à Michael Jackson, mettant aussi en lumière le jeu de basse de Gail Ann Dorsey, acolyte de feu David Bowie, qui lui rend un hommage émouvant en chantant Life on Mars.
    La somme des tubes enchainés (
    la Seine, Amsetou, Qui de nous deux, Machistador, Je dis aime...) et les nouveaux titres entraînants nous rappellent la carrière fulgurante de cette "étoile dansante" se moquant de son "petit nombril" et as du jeu sous toutes ses formes (humour, chorégraphie, jeu de pistes...). M  réussit à imposer un univers où se côtoient l'Afrique, l'enfance, la spiritualité, l'introspection et les rêves, qui deviennent ici et toujours réalité.
    Il conclut sa performance, guitare en bandoulière, dans les arènes, au milieu de la foule, sans heurts ni peur, dans un esprit festif et en totale communion pour les yeux, les oreilles et les cœurs d'une multitude de témoins. Une ferveur toute en simplicité et gentillesse, belle à voir.

     

  • Bonheur virtuel

    j’arrête quand je veux !,nicolas ancion,zone j,editions mijade,jeux vidéos,addiction,juin 2022« Chacun viendra ici au tableau, à ma place, et moi j’irai m’asseoir comme vous, sur un banc. Vous aurez dix minutes pour parler d’un sujet qui vous tient à cœur. »

    Théo est un curieux. Il aime découvrir de nouvelles choses, se lancer dans des aventures passionnantes. En plus, l’adolescent a toujours envie de les partager avec ses amis, sa sœur ou ou à travers un exposé en classe. J’arrête quand je veux ! de Nicolas Ancion aux éditions Mijade raconte l’évolution de Théo qui aimerait beaucoup échanger avec son père sur ce qu’il traverse mais encore faudrait-il que le garçon arrive à le croiser entre deux réunions ! Puisque c’est comme ça, Théo part tout seul à la conquête d’un étrange monde : « Land of the Living Dead », un jeu vidéo interdit aux moins de 18 ans. Ses copains Mathieu et Són ont l’interdiction d’y jouer. L’ado est chez sa mère une semaine sur deux et son père aux abonnés absents donc qui le saura ? Et puis Théo sait tout faire tout seul alors où est le problème ?

    « -Tu dois survivre le plus longtemps possible et faire vivre ton zombie : lui trouver un boulot, une maison, une famille ... »

    Bienvenue dans le monde merveilleux de l’addiction aux jeux vidéos. Au fil du récit, il est facile de penser que cet engrenage reste exceptionnel. Par exemple, le lecteur se dit que Théo est livré à lui même ou qu’il n’a pas de cadre ou bien encore qu’il préfère vivre dans un monde virtuel. En effet, la situation de l’adolescent va le laisser succomber plus facilement à l’attrait du jeu. Sauf que dans la réalité, presque tous les jeunes (et même moins jeunes) jouent aux jeux vidéos et sont donc susceptibles de se laisser entraîner un jour ou l’autre. On peut d’ailleurs élargir à l’utilisation d’un écran (ordinateur, smartphone, tablette) et là ça devient plus flagrant. Il ne s’agit pas bien sûr d’être alarmiste mais juste de tenir informés les adolescents des risques.

    « Dès sept heures, Théo est debout. Les yeux embués de sommeil, il allume l’ordinateur portable. »

    Heureusement, le livre n’est ni plombant ni moralisateur. La présence des copains de Théo, de Sergio l’éducateur du collège, de sa sœur, d’un chien, etc. nous rassurent et donnent de l’espoir. Et puis Théo lui-même a de la ressource ! Un roman à mettre entre toutes les mains, une des meilleures méthodes pour lâcher la manette de jeu, lire et en discuter avec son entourage. Rassurez-vous l’addiction aux bouquins n’est pas dangereuse.

    Image: Mijade

  • Dessein : voyage !

    Lyon BD festival 2022, Léah Touitou, Café Touba, Sunu gaal, Jarjille édition, Somaliland, Sahra Halgan, Clément Goutelle, Max Lewko, Anjale, Le nombril, Beurre salé, Julie et les oiseaux, Voyage sénégal, rémunération auteurs de bdLe festival Lyon BD 2022 vient d'avoir lieu. Une belle occasion pour découvrir de nouveaux talents mais aussi rencontrer celles et ceux dont les bandes dessinées nous ont fait rêver. Léah Touitou, en fait partie. L'autrice qui participe à l'aventure Les rues de Lyon (mensuel de bande dessinée de L'épicerie séquentielle) a sorti deux beaux albums aux éditions Jarjille : Café Touba et Sunu GaalLéah Touitou y met en scène un de ses nombreux projet-voyage et nous emmène avec elle dans ses bagages. Discuter de son parcours, ses albums et son métier nous plonge également loin du tumulte lyonnais, au cœur de la création, des rencontres et de l'aventure. L'autrice de bande dessinée nous présente aussi Anjale dont l'album Le nombril, édité par Beurre salé vient de sortir.

    Écoutez Léah Touitou et Anjale au micro de Chœur:

    podcast

    podcast

    Albums de Léah Toutou: Café Touba, Sunu Gaal, Somaliland (en collaboration)

    Albums d'Anjale: Julie et les oiseaux, La doc', Le nombril

    Image : Jarjille éditions

  • Un concept visionnaire

    Tigran,Shaman,l'appel,trilogie,Mama éditions,Carlos Castaneda,visions,chanelling,mongolie,chamanisme,homme-loup,troisième oeil,Juin 2022L'Appel est l'ultime volume de la trilogie Shaman parue chez Mama éditions. Tigran, l'auteur, a totalement imaginé et transcrit ce récit d'initiation chamanique et d'amour cosmico-charnel en Mongolie, où il ne s'est jamais rendu. Prouesse donc du réalisme associé à une histoire simple mais complexe dans ses ramifications et entremêlements. Même s'il prétend avoir reçu une grosse part de l'intrigue en moult détails sous forme d'images ou de paroles canalisées un beau matin, la forme reste un assemblage subtil et cohérent de vécu (enfance, voyages, rencontres...), d'impressions, de visions ou de ressenti, faisant de Shaman une belle œuvre  de co-naissance.
    Chaque volume est construit autour d'une image symbolique forte, ici l'ouverture et l'irradiation du troisième œil, tout en tenant l'intrigue en haleine dans un univers où tout s'imbrique et prend sens. L'autre idée archétypiquement vivante et haletante de ce dernier tome, c'est ce curieux homme-loup, sauvage et chef de meute, qui vient ponctuer l'originale trilogie par la révélation de sa véritable identité.
    Les livres de l'universitaire et apprenti sorcier Castaneda étaient aussi écrits et agencés de façon magique. Ils ont finalement touché un large public. Souhaitons à Tigran un rayonnement similaire qui viendrait couronner l'engagement, l'audace et la ténacité de la ligne des éditions Mama depuis quelques années, maison dont il était l'éditeur et le gérant avant d'en devenir un auteur emblématique.

     

  • La posture et l'attitude justes

    "Ce n'est qu'à partir du moment où tu prends conscience du caractère toujours imparfait de ta pratique que le moindre de tes pas devient une ascèse qui t'engage corps et âme. Autrement dit, tu commences à donner "le meilleur de toi-même en tout lieu et à tout moment et tu te sens un avec toi-même."" (p.45)


    Force-Votale-Couverture-Web-300x467.jpgForce vitale de Kodo Sawaki (1880-1965) publié chez l'Originel-Antoni a tout d'un futur classique de la spiritualité. Le contenu, forme et fond rappelle Esprit zen, esprit neuf de Shunryu Suzuki, une référence dans la voie de la posture zazen.
    On doit à la ténacité de quelques disciples ces paroles de celui qui fut le maître de Taisen Deshimaru, le célèbre moine bouddhiste zen qui moissonna le sol français et européen. Vastes comme l'univers sont les portes d'entrées qui mènent à la compréhension "étrique" du vrai visage qui se contemple, ici regroupées en 24 chapitres et autant de courtes perles interconnectées.
    Kodo Sawaki possède en outre une excellente connaissance de la Bible et de l'essence du religieux : "la pratique elle-même est le satori... c'est mener une vie religieuse".
    Il insiste notamment sur l'acte de "se brancher sur la même longueur d'onde que l'Univers" pour ainsi "remettre son baromètre intérieur en état de marche...perpétuellement actualisé".
    A la lecture de son enseignement on se sent en contact avec la profondeur "du Bouddha et des anciens maîtres", englobant une sagesse universelle qui va de Castaneda et sa voie du guerrier (vivre chaque instant comme le dernier) à celle des prophètes monothéistes. Il s'agira toujours de s'oublier dans une pratique dénuée d'intérêt et au service de l'Univers, contenu dans la simple cellule familiale ou “sangha” par exemple.
    Être un avec soi-même et autrui, transcender l'existence individuelle et personnelle, être relié, s'abandonner, voir...autant d'attitudes étriques que la posture permet de vivre et d'incarner chaque jour, dans la simplicité d'un esprit désintéressé et neuf tel celui du disciple.
    Angélique Dailcroix (peinture de couverture), Frédéric Blanc (traduction de l'allemand) et Roger Lipsey (préface) ancrent en outre ce manuscrit intemporel (agrémenté de photos du maître par Muho Nölke, le traducteur en allemand du japonais) dans la modernité. Un bel objet en sus donc, format poche, pour en faire un compagnon de route auquel on peut se référer souvent.

     

  • La rose fleurit sans pourquoi

    Room,James Thierrée,La compagnie du Hanneton,Anne-Lise Binard,Ching-Ying Chien,Mathias Durand,Samuel Dutertre,Hélène Escriva,Steeve Eton,Maxime Fleau,Nora Horvath,Sarah Manesse,Alessio Negro,Théâtre des Célestins,Lyon,Juin 2022

    C'est à une drôle de représentation que nous avons assisté au théâtre des Célestins avec l'équipée de James Thierrée. Le temps semble avoir peu d'emprise sur l'homme et la passion s'étoffe avec le chant (La lyrique Sarah Manesse), la musique et la danse. Un véritable groupe festif de 10 musiciens, une chanteuse et une danseuse (l'autre s'étant blessée) vont chorégraphier des tableaux animés et changeants puisque le décor est aussi mouvant que la gamme de jeu des artistes.
    Room, la pièce, ce sont des semblants de pièces mais qui intègrent le public pour la joie du jeu et du partage avec une palette d'émotions et de visuels chocs. On passe du rire à l'étonnement, de la poésie au riff de guitare tonitruant, avec des comiques de répétitions (le téléphone, le pourquoi, le blabla...) qui interrogent le processus de création et sa crédibilité.
    Sans trame narrative raisonnée ni réflexion autre que l'énergie latente et le génie créatif (et burlesque) de chacun, le spectacle est sans étiquette autre que le plaisir d'être ensemble et de célébrer le rythme intérieur plutôt bouillonnant et détonnant.

    James Thierrée assume de façon totalement décomplexée cette  tangente musicale et son goût pour la danse (avec la très élastique Ching-Ying Chien il s'en donne à coeur joie) en gardant ce lien fort à l'homme sauvage et l'enfant.
    Profondément relationnel, il sublime ses acolytes dans des saynètes privatives pour qu'ils impriment la toile de fond. Tel un chœur au service de l'auteur ils font corps derrière la mise à nu de leur mentor : une pièce on ne peut plus collective.
    La cacophonie est souhaitée et montrée, contrebalançant la beauté du geste. De réponses au sens de la vie, James n'en reçoit pas (du Saint Esprit de la caméra) mais au sujet de la création, il sait que le chaos est inextricablement imbriqué à l'harmonie et qu'il en est un digne représentant. Le style musical accompagne cette métamorphose, oscillant entre fanfare, cantate, opéra rock ou folie punk. Une proposition originale et décalée.

    Crédit photo : Richard Haughton pour les Célestins.